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Critique de HordeDuContrevent


L'anthropocène en mode fantastique et onirique pour faire passer le message de façon lumineuse…

Tout d'abord la petite fille sur la couverture capte votre regard. Jolie enfant semblant surgir d'un tas de feuilles mortes, un beau portrait pensez-vous simplement avant d'ouvrir le livre. Ce regard pèsera sur vous de plus en plus intensément au fil de la lecture jusqu'à vous questionner, vous interpeller. Vous vous surprendrez à regarder cette enfant de plus en plus longuement, songeur, songeuse. du simple regard tendre d'une enfant inconnue, ce regard deviendra le regard de votre propre conscience, le regard de l'enfant qui sommeille en vous, cet enfant innocent qui regarde l'adulte que vous êtes désormais devenu constitué de tous vos actes, vos actions, vos sentiments, vos bons côtés, vos facettes inavouables, toutes vos fiertés et toutes vos hontes.

La véritable histoire de Gaya Sharpe est le premier roman d'Anne Steiger, journaliste de métier. Si ce roman est une histoire particulièrement émouvante sur la relation entre un père et sa fille, c'est avant tout une fable écologique teintée de réalisme magique qui replace la question de l'homme et de son impact sur la planète au centre du récit. L'anthropocène approchée selon un angle fantastique et symbolique, selon un angle très émouvant permet ainsi à l'auteure de faire passer des messages essentiels de manière douce. Et lumineuse. Très lumineuse.

Le récit est celui du père, Louis Sharpe, un père maladroit, drôle, un peu porté sur la bouteille, qui tente tant bien que mal d'élever seul son enfant, sa femme Lili étant morte en donnant naissance à leur fille Gaya, une naissance miraculeuse et curieuse, comme si la mort de la mère avait rendu la vie au nourrisson, déclaré en effet décédé quelques minutes durant juste après être sorti du ventre. Une mort pour une vie ?
Durant sa première année de vie, Gaya est considérée par le corps médical comme une enfant lourdement handicapée, ces minutes sans vie ayant considérablement détruit une partie de son cerveau. Mais à chaque anniversaire, cette enfant va non seulement aller de mieux en mieux physiquement mais développer de nouvelles capacités cognitives, intellectuelles et émotionnelles tout à fait étonnantes…à chaque anniversaire, pendant quelques minutes, Gaya meurt pour revenir à la vie se régénérant de façon époustouflante, pour ne pas dire miraculeuse. Au fil des anniversaires, nous découvrons une Gaya tour à tour pleureuse, curieuse, violente, épileptique, généreuse, d'une sagesse incroyable, chaque changement s'effectuant de manière abrupte, comme portée par une fulgurance exponentielle. Et surtout, s'affine à chaque fois son message, de plus en plus précis quant à l'action des hommes sur la nature et en société.

« J'avais compris et ressenti ce que Gaya me répétait inlassablement depuis un an : nous étions les agents, mais aussi les destinataires de chacun de nos actes ; ce que je faisais à un homme, à un animal, un animal ou une plante avait un impact sur moi, que ce soit négatif ou positif ; quelque part, j'étais le propriétaire des émotions que je suscitais chez autrui, car cela se répercutait toujours sur moi ; j'étais responsable de tout ce que je faisais aux autres et tout ce que je faisais aux autres avait un effet sur moi, cela me constituait ; au bout du compte, nous devenions la somme de tous les petits gestes que nous avions – ou pas – pour les autres ; nous devenions tous les êtres vivants que nous avions blessés et tous ceux à qui nous avions faut du bien ; nous ne possédions que ce que nous donnions ; nos donc étaient nos seules richesses ».

Gaya est un pont, une enceinte, une métaphore, un concept, un prétexte. Elle transmet son message, distribue l'amour, prépare les hommes à la catastrophe à venir, suite à leurs propres actions aux effets délétères. le fait que ce soit une petite fille à la voix cristalline et qui zézaie donne un impact plus fort et une portée plus grande au message délivré. Parfois agacés par tant de messages alarmistes, messages que nous n'entendons peut-être même plus tant les injonctions sont parfois contradictoires, Gaya haute comme trois pommes, souvent drôle, parfois énervante, fatigante, touchante, nous sensibilise et dit l'essentiel. Ce que nous devons à la Nature, à la faune et à la flore, les actions à mener à notre petite échelle, même si celles-ci semblent si vaines à l'aune du mal qui a été fait ; elle nous questionne sur ce qu'est la mort, ce qu'est une âme, la façon dont une âme décide de s'incarner puis de se réincarner…et surtout le rôle primordial de l'amour.

Il y a ainsi des messages forts liés à l'urgence écologique entremêlés à un questionnement existentiel sur le sens de la vie, sur la mort, sur la réincarnation (il y a vraiment des passages passionnants d'ailleurs sur la réincarnation). Peut-être, et c'est pour cette raison que ce ne fut pas un coup de coeur total, cet entrelacement m'a un peu perdue, du moins perturbée. Au-delà de trouver cette concomitance un peu trop riche, sans doute cet entrelacement subtil m'a-t-il poussée dans mes retranchements, piquée, provoquée, agacement que je mettais sur le compte d'un message trop sucré, trop naïf, trop manichéen, trop prévisible…alors que tout parle en réalité de notre responsabilité et de notre action, aujourd'hui et maintenant. Mais fort heureusement, ce récit est d'une telle douceur et d'une telle lumière que très vite l'agacement ou la gêne, ont cédé la place à l'émotion. J'ai compris en refermant ce livre, le coeur au bord des lèvres, combien ces messages sont importants à transmettre mais que sans émotion, ils atteignent rarement leur cible étant sans doute trop angoissants et moralisateurs.

« Si l'on considère le nombre de choses que nous avons dans cette maison et dont nous pourrions nous priver, nous sommes riches. Nous avons un toit solide à présent et un jardin pour nous nourrir, c'est suffisant. La sobriété est joyeuse, Papa. Elle est la clef. Il faut apprendre à marcher légèrement sur Terre, discerner le nécessaire du superflu, passer de la peur du manque à l'abondance de l'être. Je pourrai t'aider à faire le tri dans tes affaires, si tu veux ».

L'écriture est simple et sans fioriture, généreuse, parfois trop généreuse d'ailleurs, à l'image de l'intrépide et infatigable petite héroïne qui fait tout pour redonner de la lumière à ce monde.
Anne Steiger déploie son message en prenant des chemins détournés surnaturels qui nous semblent aller totalement de soi, nous les empruntons avec bonheur, malgré parfois leurs longueurs liés à cette volonté de bien expliquer.
C'est dans tous les cas une écriture positive qui arrive à nous rendre l'idée de la mort beaucoup moins angoissante, voire même magnifique…Un sentiment de paix, de liberté se dégage de ce récit et ça m'a fait du bien d'accepter ainsi ce livre qui sort pourtant totalement de mes lectures habituelles. Je remercie chaleureusement Magali (@ladybirdy) pour cette jolie découverte !
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