AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de AnnaCan


« Sans aucun doute, les vampires existent : certains d'entre nous en ont la preuve ! Et même si nous n'avions pas fait nous-mêmes cette malheureuse expérience, l'histoire du passé fournit des preuves suffisantes de leur existence. Je reconnais qu'au début j'étais sceptique. »

Et moi donc!
Si on m'avait dit qu'un jour je lirais une histoire de vampires, pire, que je viendrais m'abreuver aux sources mêmes du mythe créé par Bram Stoker à la toute fin du dix-neuvième siècle, que non seulement j'y prendrais un intense plaisir, mais qu'en plus je parviendrais à y croire, du moins à y croire assez pour éprouver l'envie irrépressible de poursuivre ma lecture jusqu'au bout…
Si on m'avait dit que je me rendrais en Transylvanie, plus précisément dans un château terriblement lugubre et isolé, habité depuis des siècles par un comte à la force herculéenne et au teint cadavérique, aux canines carnassières et aux lèvres vermeilles gorgées de sang humain…
Si on m'avait dit que soir après soir, le coeur palpitant et l'épiderme frissonnant, je ferais le gué dans un cimetière de Londres à l'abri d'un antique cyprès, guettant une silhouette fantomatique se faufilant entre les tombes, serrant dans ses bras de non-morte un malheureux enfant innocent…
Si on m'avait dit, enfin, que mon esprit rationnel finirait par céder devant l'accumulation de faits aussi extraordinaires qu'irréfutables et, ostie sur le calice, qu'en dépit de mon aversion pour tout ce qui relève de la superstition et de l'idolâtrie, je finirais par convenir que, ma foi, quelques chapelets de fleurs d'ail et un ou deux crucifix, ça pouvait toujours être utile…
… J'aurais esquissé une moue sceptique et je serais retournée à mon cher Proust.

Et pourtant, à moins que je n'ai rêvé ou plutôt cauchemardé durant ces deux semaines passées en compagnie du comte Dracula, tout cela a réellement existé.
« Nous ne pouvions croire que les choses que nous avions vues de nos propres yeux, entendues de nos oreilles eussent été vivantes et réelles. Toute trace en avait été effacée. Mais le château était toujours debout, dominant une étendue de désolation. »
Les voix conjuguées des deux récitants le talentueux Pierre-François Garel et la délicieuse Mélodie Richard — oui, j'ai opté pour la lecture audio m'assurant une plongée plus immersive encore — m'ont accompagnée durant mes promenades solitaires, s'amusant de me voir sursauter au moindre bruit suspect dans les fourrés. Elles m'ont tendrement bercée, ces voix, lorsque, douillettement lovée près du feu de cheminée dans le réconfort de bras aimants, je me retrouvais transportée au temps de mon enfance, à cette heure précieuse où ma mère, chaque soir avant de m'endormir, me lisait un conte de Perrault ou des frères Grimm.

Bref, ce fut une lecture en tous points merveilleuse, enfin… presque en tous points, mon intérêt et mon attention s'étant quelque peu relâchés dans le dernier tiers. Après avoir assez longuement réfléchi à la question, je dirais qu'il y a essentiellement deux raisons à cela.
La première tient à l'évolution de l'un des personnages à mes yeux le plus prometteur et le plus original du livre : Mina Harker. Fiancée, puis épouse de Jonathan Harker, l'infortuné jeune homme prisonnier du comte Dracula en début de roman, dotée d'une intelligence exceptionnelle (« un cerveau d'homme (sic) incroyablement doué, avec un coeur de femme (re-sic) »), faisant preuve en toutes circonstances d'un sang-froid exemplaire, elle m'a paru tout droit sortie d'un roman de Jane Austen. Aussi ma déception fut grande quand Bram Stoker, obéissant aux contraintes de l'intrigue à moins que ce ne soit aux préjugés de son époque, lui fait subir une métamorphose aussi soudaine que parfaitement injuste et, qu'après l'avoir hissée au rôle si convoité de l'héroïne déterminée prenant en main son destin, il la relègue sans état d'âme à celui, maintes fois ressassé, de l'héroïne romantique, exsangue et éthérée, ne pouvant plus compter, pour son salut, que sur le concours chevaleresque des hommes.
La seconde raison, moins évidente, tient à la tension narrative. le roman, constitué de plusieurs récits enchâssés — lettres, coupures de presse, journaux intimes de Mina et Jonathan Harker, journal de bord du Docteur Seward — est habilement construit pour créer le suspense. Basculant sans cesse d'une situation, d'un personnage à l'autre, n'hésitant pas à interrompre l'action au pire moment, le tout en opérant des reculs dans le temps, il place le lecteur dans une attente insoutenable. Ce procédé, diablement efficace, sera longuement analysé plusieurs décennies plus tard par le maître du suspense, Alfred Hitchcock :
« La différence entre le suspense et la surprise est très simple. [...] Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d'un coup : boum, explosion. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait [...]. Il sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu'il est une heure moins le quart. Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l'explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense. »
Durant les deux premiers tiers du roman, j'étais en plein dans la situation décrite par Hitchcock, je détenais des éléments cruciaux que les personnages ignoraient, j'étais véritablement sur des charbons ardents, brûlant de les voir, enfin, comprendre la situation, tout en me demandant comment ils allaient y parvenir. Sauf qu'une fois qu'ils l'ont bien comprise et longuement analysée (et même, très longuement), il ne leur reste plus qu'à traquer Dracula pour tenter de l'éliminer. On quitte alors définitivement l'état d'anticipation angoissée créé par le suspense si habilement déployé par Bram Stoker pour s'acheminer vers un dénouement assez conventionnel dont l'issue ne fait guère de doute.

Il reste qu'en dépit de ces bémols ce roman fut une formidable expérience de lecture. L'une de ses plus grandes réussites à mes yeux est de mettre en scène des personnages aux profils variés, puissamment incarnés qui, s'ils n'échappent pas toujours aux clichés de l'époque — l'Angleterre victorienne — sont profondément attachants. Quant à Dracula, ni tout à fait un homme, ni tout à fait le Diable, il est cruel, certes, mais par nécessité. Au fond, il cherche seulement à persévérer dans son être, comme dirait Spinoza, un philosophe cher à mon amie Hélène. S'il survit depuis des siècles, c'est parce qu'il suce le sang des hommes, et s'il est condamné à le faire jusqu'à la fin des temps, c'est parce qu'il a lui-même été vampirisé. D'une certaine façon, lui aussi est à plaindre, comme l'explique Mina à l'un de ses compagnons d'infortune. Ce qui n'empêche pas de le combattre sans merci, au contraire, puisque l'avenir de l'humanité en dépend et, peut-être plus important encore, le salut de nos âmes…

Un grand merci à Doriane (@Yaena) ainsi qu'aux copains (@NicolaK, @Patlancien, @Djdri25) dont les retours enthousiastes et incitatifs m'ont donné une folle envie de découvrir ce livre.




Commenter  J’apprécie          11099



Ont apprécié cette critique (93)voir plus




{* *}