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Critique de Presence


Ce tome comprend 2 histoires complètes qui réinventent le personnage de Superman depuis ses débuts. La première est parue initialement en 2010, la seconde en 2012. Les 2 ont été écrites par JM Straczynski, dessinées par Shane Davis, encrées par Sandra Hope et mises en couleurs par Barbara Ciardo.

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--- Première partie ---

Clark Kent, un jeune homme de 21 ans, voyage en train pour se rendre à Metropolis. Une fois sur place, il loue un appartement, il se fait agresser par un voyou qui en veut à son argent, son portable et sa montre. Il passe plusieurs entretiens d'embauche comme joueur de football américain professionnel, et chercheur en chimie. Il téléphone à sa mère pour lui donner de ses nouvelles. Il se rend au Daily Planet pour postuler comme journaliste. Il se remémore ce que ses parents lui ont raconté de son adoption. Dans une base secrète une équipe de scientifiques militaires examine depuis plusieurs années les restes d'un vaisseau spatial, sans réaliser d'avancées significatives dans la compréhension de cette technologie extraterrestre.

Pour des raisons éditoriales et commerciales, DC Comics souhaitait disposer d'une nouvelle origine de Superman, totalement déconnectée de l'univers partagé DC, un tome facilement commercialisable, à destination d'un public plus large que les lecteurs de comics de base. La lourde tâche a échu à Joseph Michael Straczynski (en abrégé JMS), scénariste aguerri de comics (Thor, Rising Stars, Spider-Man), et Shane Davis jeune dessinateur (essentiellement Mystery in space, with Captain Comet, en anglais).

La mission est périlleuse car il y a déjà beaucoup de récits mémorables des origines de Superman, à commencer par sa création par Jerry Siegel & Joe Shuster en 1938 (rééditée dans Archives Superman 1939-1940). Parmi les plus marquantes il y a eu L'homme d'acier (de John Byrne, 1986) qui a relancé le personnage à partir de zéro (après Crisis on infinite earths), Origines secrètes (de Geoff Johns & Gary Frank, 2010) après d'autres événements ayant altéré la continuité rétroactivement, et la plus iconique et concise (en VO 4 cases, 8 mots) dans All-Star Superman (de Grant Morrison & Frank Quitely, 2005/2008).

Comment intéresser de nouveaux lecteurs à une histoire que tout le monde connaît déjà ? JMS parie sur le développement de la personnalité de Clark Kent. Il a été élevé par 2 parents aimants qui lui ont inculqué un système de valeurs morales judéo-chrétiennes (JMS met la pédale douce sur le patriotisme). Il n'a pas de vocation évidente pour porter un costume aux couleurs vives, et il ne ressent pas de besoin particulier de défendre la veuve et l'orphelin, ou en tout cas de faciliter les conditions de vie de l'humanité en s'interposant entre elles et des catastrophes naturelles. Cette partie du récit est abordée de manière neuve, crédible, et intéressante. D'une manière générale, la mise en scène des humains normaux est très réussie, avec en particulier une Loïs Lane et un Jimmy Olsen crédibles, plausibles et humains.

Ce n'est pas tout à fait la première fois que JMS a le plaisir d'écrire Superman, il avait déjà réinventé un décalque chez Marvel avec la série Supreme Power qu'il n'avait pas menée à son terme. Son Hyperion était majestueux et mettait déjà en évidence certaines des limites propres aux origines de Superman. En effet quand JMS doit rationaliser les aspects surhumains, il se trouve gêné aux entournures. Par exemple, il fait le choix de donner ses pouvoirs à Clark dès son arrivée sur Terre, en tant que nourrisson. Cela demande une suspension consentie d'incrédulité un peu trop importante au lecteur qui ne peut que constater qu'un tel postulat de départ implique un niveau de destruction catastrophique dès que bébé pique une colère. En outre, JMS se trouve dans l'obligation d'imaginer une menace à la hauteur des pouvoirs de Clark Kent. La menace en question s'avère être un cliché éculé peu palpitant malgré son lien avec les événements qui ont conduit à l'arrivée de Clark sur Terre.

Il faut dire que la mise en image de Shane Davis de ladite menace ramène le récit dans le comics de superhéros. Son style évoque celui d'Adam Kubert dans Geoff Johns présente Superman tome 1, en moins flamboyant, et plus réaliste. Dans la plupart des pages et des cases, Davis porte une grande attention aux décors et aux détails. Chaque case est aisément lisible, tout en contenant un bon niveau de quantité d'informations visuelles. Il a repensé l'architecture de Metropolis pour atténuer le style année 1960, avoir un paysage urbain plus moderne. Il prête une grande attention aux tenues vestimentaires, de manière à ce qu'elles soient actuelles, sans être outrageuses. C'est ainsi qu'il donne un vêtement à capuche (hoodie) à Clark Kent. Il dessine Clark avec un langage corporel mesuré, très éloigné des jeux exagérés des comics ordinaires. Il n'y a que les visages qui soient un peu lisses, et son style graphique pas tout à fait assez affirmé, encore trop empreint de ses influences (Adam Kubert, Jim Lee, Marc Silvestri). Si le lecteur peut se projeter facilement dans le monde de ce Clark Kent, il subsiste un phénomène de distanciation du fait de ce style un peu trop impersonnel. L'interprétation visuelle des scènes d'action est spectaculaire à souhait, même si elle repose là encore un peu trop sur les postures spécifiques des comics de superhéros (en particulier une pleine page de Superman bandant tous ses muscles avant de s'envoler, cliché éculé au possible).

Avec cette nouvelle version de Clark Kent/Superman, JM Straczynski et Shane Davis réussissent à saisir les spécificités du personnage, sans reproduire servilement 80 années de continuité. JMS a l'art et la manière de lui donner une personnalité crédible et sympathique, sans être fade. Davis développe un univers visuel travaillé et dense, agréable à découvrir. Toutefois, cette version bute sur les composantes superhéroïques, coincée entre l'aspect réaliste et les énormités enfantines inhérentes aux superhéros. 4 étoiles.

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--- Deuxième partie ---

Clark Kent a réussi son premier scoop, mais Perry White lui explique que l'important dans ce métier de journaliste, c'est de durer en révélant au grand jour ce que d'autres veulent continuer à conserver secret. Lois Lane ne peut pas croire que Superman ait accordé une interview à un parfait inconnu dans le monde journaliste ; elle commence à mener son enquête et découvre que Clark Kent était un adolescent singulier. Kent emménage dans un quartier à forte mixité sociale. Eddie Johannson, un jeune artiste musicien, passe le temps à l'entrée de l'immeuble, en se défonçant de temps à autre. Lisa Lasalle, sa voisine, lui rend visite dans son appartement et lui fait des avances de nature très explicite. Ailleurs Raymond Jensen, un tueur, fait le ménage derrière lui, ne laissant aucun témoin vivant. Superman essaye de sauver une population vivant sur une côte où se déchaîne un ouragan, mais il se heurte au général du coin qui lui interdit d'intervenir sur un sol étranger. L'armée continue de réfléchir à comment disposer d'une arme capable de stopper Superman, car il n'est pas possible qu'un tel individu puisse être aussi altruiste. Un monstre capable d'absorber l'énergie vitale des êtres vivants se dirige vers Metropolis.

En 2010, le premier tome de la collection Earth One rencontre un énorme succès. L'éditeur DC Comics rompt avec le mode de publication habituel et il essaye un nouveau modèle d'édition : plutôt que de sérialiser l'histoire en parution mensuelle, il publie directement une histoire complète et fait distribuer l'album dans les réseaux de la grande distribution du livre, au lieu des points de vente traditionnels spécialisés en comics. Les ventes sont au rendez-vous et ce succès commercial justifie à lui seul l'extension de la gamme avec Batman earth one de Geoff Johns et Gary Frank, et un deuxième épisode de Superman.

Ce qui frappe le plus à la lecture, c'est la grande place dévolue à Clark Kent. Voici un jeune homme taciturne que ces pouvoirs ont placé à part de la société, à bien des égards. Straczynski prend le temps de montrer en quoi cette situation a influé sur le développement personnel de Clark, comment elle l'a isolé, à commencer par tout ce qui concerne les liens affectifs et physique avec l'autre sexe. Il aborde de manière très sérieuse l'une des blagues les plus potaches du milieu des comics des superhéros, entre la rigidité difficile à maintenir de Mister Fantastic, ou la taille de celle de Hulk. Je ne vois pas comment prendre cette interrogation au premier degré. Straczynski raconte l'histoire d'un individu doté de superpouvoirs (plausibilité = zéro) vêtu d'un costume moulant avec un grand S sur la poitrine pour que le public se rappelle bien comment il s'appelle. Avec cet angle d'attaque sur le refoulement de Clark Kent, il insiste tant et plus sur l'absurdité même d'un personnage comme Superman, sans renforcer sa crédibilité. Tout au long du volume, l'histoire souffre de cette dissonance narrative.

Mais passons, cette histoire ne se limite pas à cet aspect. Il y a aussi la tenace Lois Lane. Parlons en ! Son enquête sur le citoyen Clark Kent se termine également d'une manière qui laisse songeur, peu raccord avec sa personnalité pendant tout le tome. Dans les seconds rôles, Eddie Johannson ne sert pas à grand-chose puisque l'impact de ses actions n'est pas visible pendant ce tome. Lisa Lasalle permet d'alléger l'atmosphère avec la même limite concernant son apport au récit : le lecteur a l'impression que Staczynski prépare surtout le tome suivant plutôt qu'il ne s'attache à raconter une bonne histoire en 1 tome. Il semble reparti comme pour la série "Supreme Power" (avec un double de Superman) pour développer les personnages et leurs relations, sauf qu'ici le résultat ne donne pas l'impression de disposer d'une unité suffisante par elle-même.

Il reste encore l'affrontement entre Superman et le méchant du mois (enfin, plutôt de l'histoire). Straczynski ressort tous les clichés propre à ce supercriminel : de sa dangerosité pour Superman à sa capacité mal définie à absorber de l'énergie (ce qui "fort logiquement" lui fait gagner de la masse corporelle). L'issue du combat est courue d'avance et la nature du dénouement laisse pantois devant le manque d'originalité et l'aspect téléphoné de la solution. À nouveau cette composante manque d'originalité et tire l'histoire dans la direction opposée au réalisme évoqué au travers des rapports physiques de Clark Kent. J'insiste : il faudra m'expliquer comment le siphonage d'énergie permet de gagner de la chair et des muscles.

Shane Davis s'en sort-il mieux ? À la réflexion, ce qui doit avoir séduit le responsable éditorial, c'est la capacité de Davis à dessiner de manière réaliste. Il est vrai que dès la première page, il réussit admirablement bien l'impression de granulosité que donnent les dalles de faux-plafond. Il a trouvé un aspect assez sympathique pour Clark Kent, avec une morphologie plutôt fine, une chemise sortant du pantalon, et une cravate au noeud lâche. Tiens ! le hoodie a disparu. Jimmy Olsen dispose également d'une allure crédible, jeune, décidé, sans être imbu de sa personne. le tueur s'éloignant de la maison qui explose dans un bouquet de flammes rappelle un stéréotype d'affiche pour film d'action. Lisa dispose d'une très grosse poitrine qu'elle sait mettre en valeur, mais c'est justifié par le scénario. Avec la première apparition de Superman, le lecteur se rend compte que Davis embrasse pleinement les clichés propres aux histoires de superhéros, sans essayer de faire dans l'original. L'Hyperion de Supreme Power, dessiné par Gary Frank, était plus original. L'apparence de la créature monstrueuse est tout aussi convenue pour un lecteur de comics de superhéros. Par contre, dès que Clark Kent réendosse ses habits civils, Shane Davis sait transcrire des décors normaux, des vêtements réalistes, etc., avec encore de très belles dalles de faux-plafond.

Ce deuxième tome constitue une déception à bien des égards. Pour commencer l'histoire de l'affrontement contre le monstre est basique et stéréotypée, en total décalage avec l'ambiance réaliste souhaitée par les auteurs. Ensuite, Straczynski succombe à son travers habituel : raconter une histoire qui prépare plus la suivante qu'elle ne fournit de divertissement immédiat. Shane Davis réalise des illustrations très satisfaisantes pour les scènes dépourvues de superhéros ou de combats, peu intéressantes dès que Superman apparaît. D'un coté cette histoire laisse le lecteur sur sa faim parce qu'il a l'impression que tout ce qui a été construit ne constitue que des fondations pour la suite. de l'autre, il lui est infligé un trouble bipolaire entre cet individu (Clark Kent) souffrant d'une solitude bien humaine, et ce superhéros tellement altruiste qu'il en devient un saint. 2 étoiles.
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