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Critique de Meps


Meps
15 décembre 2021
Un livre dont le titre a donné naissance à une expression qui traverse le temps est-il forcément un grand livre ? J'aime poser ce genre de grande question qui est pourtant le plus souvent inutile car même si la règle s'imposait, elle comporterait forcément... des exceptions qui la confirmeraient.

Si règle il y a, le roman de Styron ne fait pas exception. C'est un grand roman que ce choix de Sophie... et c'est le choix le plus impossible qui soit que celui qui est proposé à Sophie vers la fin de ce livre, et c'est bien la puissance de cette impossibilité qui a pu donner naissance à l'expression.
On attend tout au long du récit l'arrivée de ce choix, on se dit qu'a de nombreux moments de sa vie Sophie est confrontée à des choix: entre soutenir un père ou le rejeter, entre soutenir la Résistance ou choisir la "lâcheté" pour protéger sa famille, entre rester avec un compagnon violent ou s'enfuir pour se préserver. Ce sont tous des choix difficiles, où la notion même de choix semble injuste parce que les termes ne sont pas égaux, ou parce que le courant de la vie semble diriger dans un chemin sans qu'aucune décision ne soit réellement prononcée. Mais quand arrive LE choix, on ne peut pas le confondre avec les autres: pour le coup jamais termes n'auront été plus égaux que ces deux-là, jamais décision n'aura été aussi nécessaire, vitale. Et c'est pour le coup à cause de cela que le choix devient impossible... tout en étant impossible à refuser.

Je choisis de ne pas révéler sur quoi porte le choix, même si de nombreux résumés ou critiques doivent forcément en parler, parce que j'ai réussi de mon côté à me préserver de le savoir et que la lecture et le moment décisif n'en ont été que plus forts.

Au delà de cette "révélation", la force du récit est dans sa construction diablement intelligente. L'opposition entre un narrateur maîtrisant parfaitement la langue puisqu'écrivain et l'héroïne polonaise forcément maladroite en anglais est brillante, puisque le récit des aventures du narrateur et les témoignages recueillis auprès de Sophie se répondent et se renforcent du fait de leurs différences de style. La brillante intelligence des propos du narrateur luit encore plus en opposition à la force de la simplicité du récit de Sophie... qui n'en devient lui du coup que plus puissant dans sa nudité stylistique. le choix de l'auteur d'un témoignage morcelé, d'abord cousu de mensonges avoués par Sophie par la suite, puis qui se révèle petit à petit, au fur et à mesure des confessions aidées par l'alcool, tout cela est également superbement intelligent, construit à la manière d'un orfèvre.

La force du roman réside également dans les thématiques abordées. Si on devait donner le thème principal du livre, on ne pourrait que dire Auschwitz et la solution finale... et on se dirait que ce thème est donc forcément l'unique. Mais l'auteur parvient également à y aborder remarquablement des thématiques intemporelles et modernes comme les affres de l'écriture, la question de l'esclavage et de la prise en compte de la minorité noire aux Etats-Unis, la question de la violence conjugale, de la dépendance à l'alcool et à la drogue, des troubles psychiatriques... le tout avec des passages sexuels à la fois crus et sensuels ainsi que des propos sur la religion très provocateurs, cela lui ayant d'ailleurs valu d'être interdit régulièrement dans certaines bibliothèques à l'époque.

Il faut avoir une ambition démesurée pour son livre pour imaginer pouvoir aborder tous ces thèmes à la fois. le choix de Sophie est le dernier roman de Styron et on y sent toute la force et la maîtrise de l'écrivain chevronné. Dans une mise en abyme de sa propre personne et de celle du narrateur, Styron évoque dans le livre ses précédents romans comme les possibles futurs romans du jeune narrateur, romancier en herbe... Cela ne peut que donner envie de s'y plonger pour découvrir comment s'est construite une plume aussi habile.
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