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Citations sur Le Morne-au-Diable (6)

– Mon révérend, un mot… c’est ici l’abbaye de Saint-Quentin ?
– Oui, après ? dit le frère d’un ton brutal.
– Vous voudrez bien, n’est-ce pas, me donner un gîte jusqu’à demain ?
– Hum… toujours des mendiants, dit le moine… Eh bien, va sonner à la porte du portier, on te donnera une botte de paille et on te trempera une soupe. (Puis il ajouta :) Ces vagabonds sont la plaie des maisons religieuses.
L’aventurier devint cramoisi, redressa sa grande taille, enfonça d’un coup de poing son bonnet de fourrure jusque sur ses yeux, frappa la terre de son bâton, et s’écria d’une voix menaçante :
– Mordioux ! mon révérend, connaissez un peu mieux votre monde, au moins.
– Qu’est-ce que c’est que ce vieux porte-besace ? dit le moine irrité.
– Parce que je porte besace, il ne s’ensuit pas que je vous demande l’aumône, mon révérend ! s’écria Croustillac.
– Que veux-tu donc, alors ?
– Je demande à souper et un abri, parce que votre riche couvent peut bien donner du pain et un abri aux pauvres voyageurs. La charité le commande à votre abbé. D’ailleurs, en hébergeant les chrétiens… vous ne donnez pas… vous restituez. Votre abbaye est assez engraissée par les dîmes.
– Veux-tu te taire, vieil hérétique, vieil insolent !
– Vous m’appelez vieil insolent ! Eh bien, apprenez, dom Bourru, que j’ai encore un écu dans ma besace, et que je puis me passer de votre paille et de votre soupe, dom Ribaud.
– Qu’entends-tu par dom Ribaud, drôle que tu es ? dit le frère lai en s’avançant sur le perron. Prends garde que j’aille un peu secouer tes guenilles.
– Puisque nous nous tutoyons, dom Biberon, prends garde à ton tour, dom Glouton, que je te fasse tâter de mon bâton de cornouiller, dom Bedaine, tout infirme que je suis, dom Brutal…
Le vigoureux moine fut au moment de descendre pour châtier le Gascon, mais il haussa les épaules et dit à Croustillac :
– Si tu as jamais l’audace de te présenter à la loge du frère portier, tu seras étrillé d’importance. Voilà l’hospitalité que tu recevras désormais à l’abbaye de Saint-Quentin. (Puis s’adressant aux enfants :) Et vous, dites bien à votre père que dans huit jours il ait à payer ou à sortir de la métairie, car, je vous le répète, il y a un fermier plus solvable qui la demande.
Et le moine ferma brusquement la porte.
« Je ne puis dire cela à ces enfants, reprit l’aventurier en se parlant à lui-même, ce serait d’un mauvais exemple pour cette jeunesse ; mais j’avais comme un petit remords d’avoir contribué à la rôtisserie d’un couvent dans la guerre de Moravie… eh bien, je me plais à me figurer que les rôtis ressemblaient à cet animal dodu et pansu, et je me sens tout allègre… Le drôle !… traiter si durement ces pauvres enfants ! Il est bizarre combien je m’intéresse à eux… si j’avais moins de raison, je me laisserais aller à des espérances. Après tout, pourquoi ne pas éclaircir mes doutes ? Qu’est-ce que je risque ?… j’ai un excellent moyen. »
– Ah çà ! mes enfants, dit-il aux jeunes paysans… votre père est malade et pauvre ? il ne sera pas fâché de gagner une petite aubaine ; quoique je porte la besace, j’ai un boursicot… Eh bien, au lieu d’aller coucher et dîner à l’auberge… (que la foudre m’écrase si je mets jamais les pieds dans cette abbaye, que Dieu confonde), j’irai dîner et coucher chez-vous. Je ne vous
gênerai pas, j’ai été soldat, je ne suis pas difficile ; un escabeau au coin du feu, un morceau de lard, un verre de cidre, et pour la nuit une botte de paille fraîche, à la douce chaleur de l’étable, voilà tout ce qu’il me faut… ça sera toujours une pièce de vingt quatre sous qui entrera dans votre ménage… Qu’est-ce que vous dites de ça ?
– Mon père n’est pas hôtelier, monsieur, répondit le jeune garçon.
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— Vous allez souvent au Morne-au-Diable ?
— Je vais souvent au Morne-au-Diable.
— Vous y voyez la Barbe-Bleue?
— J'y vois la Barbe-Bleue.
— Vous l'aimez ?
— Je l'aime.
— Elle vous aime ?
— Elle m'aime.
— Vous ?
— Moi.
— Elle vous aime ?
— Comme une enragée...
— Elle vous l'a dit ?
— Elle me l'a prouvé.
— Enfin... la Barbe-Bleue ?
— Est ma maîtresse.
— Foi de boucanier ?
— Foi de boucanier.
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« Mordioux ! le hasard est furieusement bien nommé le hasard, se disait le Gascon. Il m’a toujours eu en singulière affection. S’il était béatifié… j’en ferais mon saint et mon patron… Hasard-Polyphème, sire de Croustillac ! Lorsque, à bord de La Licorne, j’avais parié d’épouser la Barbe-Bleue, qui aurait prévu que cette folle gageure serait presque gagnée ? car enfin, aux yeux de l’homme au poignard et de M. de Chemeraut, j’ai passé, je passe pour le mari de l’habitante du Morne-au-Diable… Comme tout s’enchaîne dans la destinée ! Lorsque j’ai quitté le presbytère du père Griffon, le nez au vent, le jarret tendu, ma gaule à la main pour chasser les serpents, qui diable m’aurait dit que je partais (non pas directement, il est vrai) pour aller révolutionner les Cornouaillais sous le nom du duc de Monmouth, au profit du roi Jacques et de Louis XIV ! ! !… Mordioux ! on a bien raison de le dire, les vues de la Providence sont impénétrables ! Qui aurait pénétré ceci ? Ah çà ! le moment critique approche… Je suis quelquefois tenté de tout découvrir au bonhomme Chemeraut ! Oui, mais je pense que chaque heure de gagnée éloigne le duc et sa femme de trois ou quatre lieues de plus de la Martinique. Je pense encore qu’ici, à terre, mon procès peut être fait immédiatement, et ma potence dressée en un clin d’œil, tandis qu’en pleine mer il n’y aura peut-être pas des gens aptes à me juger ; je pense enfin que si la Barbe-Bleue a prié, je suppose, le père Griffon de tâcher de me retirer des griffes du bonhomme Chemeraut, une révélation intempestive de ma part pourrait tout gâter… Mieux vaut donc garder le silence. Oui, tout bien considéré, reprit Croustillac, après un moment de réflexion, faire durer l’erreur de Chemeraut le plus longtemps possible… C’est le meilleur parti que j’aie à prendre. » (p371/372)
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Maintenant, dit le père à Monmouth, comprenez-vous le projet de ce traître ? Il veut abuser du nom qu’il a pris pour vous ravir votre femme. Et vous serez obligé, ou de déclarer qui vous êtes… ou de consentir au départ de Mme la duchesse.
– Plutôt mourir mille fois ! s’écria Angèle.
– Maudit soit le Gascon ! reprit le père Griffon ; moi qui ne le croyais que sot et aventureux, et c’est un monstre d’hypocrisie.
– Ne nous désespérons pas, dit tout à coup Angèle. Mon père, veuillez retourner dans les bâtiments extérieurs, et ordonner à Mirette d’ouvrir au Gascon et à l’envoyé quand ils se présenteront. Je me charge du reste. (p256/257)
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Cet, aventurier portait fièrement un vieux justaucorps de ratine autrefois verte, mais alors d’un bleu jaunâtre ; ses chausses, éraillées, étaient de la même nuance ; ses bas, jadis écarlates, mais alors d’un rose fané, semblaient, en quelques endroits, brodés de fil blanc ; un feutre gris complètement râpé ; un vieux baudrier, garni de larges passements de faux or couleur de cuivre rougi, supportait une longue épée sur laquelle le chevalier s’était appuyé en entrant d’un air de capitan. M. de Croustillac était un homme de haute taille et d’une maigreur excessive ; il paraissait âgé de trente-six à quarante ans.
Ses cheveux, sa moustache et ses sourcils étaient d’un noir de jais, sa figure osseuse, brune et hâlée. Il avait un long nez, de petits yeux fauves d’une vivacité extraordinaire, et la bouche énorme ; sa physionomie révélait à la fois une assurance imperturbable et une vanité outrée. (p11)
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Vers la fin de mai 1690, le trois-mâts La Licorne partit de La Rochelle pour la Martinique.
Le capitaine Daniel commandait ce navire, armé d’une douzaine de pièces de moyenne artillerie, précaution défensive nécessaire : nous étions alors en guerre avec l’Angleterre, et les pirates espagnols venaient souvent croiser au vent des Antilles, malgré les fréquentes poursuites de nos flibustiers.
Parmi les passagers de La Licorne, très peu nombreux d’ailleurs, on remarquait le révérend père Griffon, de l’ordre des Frères prêcheurs. Il retournait à la Martinique desservir la paroisse du Macouba, dont il occupait la cure depuis quelques années, à la grande satisfaction des habitants et des esclaves de ce quartier.
La vie tout exceptionnelle des colonies, alors presque continuellement en état d’hostilité ouverte contre les Anglais, les Espagnols ou les Caraïbes, mettait les prêtres des Antilles dans une position particulière. Ils devaient non seulement prêcher, confesser, communier leurs ouailles, mais aussi les aider à se défendre lors des fréquentes descentes de leurs ennemis de toutes nations et de toutes couleurs.
La maison curiale était, comme les autres habitations, également isolée et exposée à des surprises meurtrières ; plus d’une fois le père Griffon, aidé de ses deux nègres, bien retranché derrière une grosse porte d’acajou crénelée, avait repoussé les assaillants par un feu vif et nourri.
Autrefois professeur de géométrie et de mathématiques, possédant d’assez grandes connaissances théoriques en architecture militaire, le père Griffon avait donné d’excellents avis aux gouverneurs successifs de la Martinique sur la construction de quelques ouvrages de défense.
Ce religieux savait en outre à merveille la coupe des pierres et des charpentes ; instruit en agriculture, excellent jardinier, d’un esprit inventif, plein de ressources, d’une rare énergie, d’un courage déterminé, c’était un homme précieux pour la colonie et surtout pour le quartier qu’il habitait.
La parole évangélique n’avait peut-être pas dans sa bouche toute l’onction désirable ; sa voix était dure, ses exhortations rudes ; mais le sens moral en était excellent, et la charité n’y perdait rien. (p5/6)
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