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Critique de Dixie39


A la question : est-ce que la littérature peut transformer le monde, nos mentalités et impacter notre société, je réponds "Les Mystères de Paris" d'Eugène Sue.
Je ne vais pas m'appesantir sur la trame de l'histoire que nous connaissons toutes et tous dans les grandes lignes et qui nous embarque encore tout autant, toutes ces décennies passées. J'avais en mémoire des souvenirs d'enfance de la série télévisée : Fleur de Marie dite la Goualeuse, Monsieur Rodolphe, le chourineur et surtout... La Chouette, personnage qui m'a valu quelques cauchemars à l'époque. Et c'est donc avec grand plaisir que j'ai découvert les multiples rebondissements et surtout la fin de cette histoire.

Par contre je souhaiterai pouvoir vous faire partager mon admiration pour tout ce qui tient "aux à-côtés" de cette histoire romanesque :
Dans un premier temps, Eugène Sue n'était pas convaincu par l'idée d'écrire sur le peuple (conseil que lui avait donné un ami). L'auteur est à l'époque un dandy de bonne famille, plus prompt à briller sur les bancs de la bonne société qu'à s'apitoyer sur les malheurs des gueux. Pas plus "emballé" que cela, il "descend" dans les basfonds de Paris et assiste à une rixe qui sera sa première source d'inspiration. Puis, il décide, contre l'avis de son éditeur, de répondre à l'offre de publication sous forme de feuilleton dans le journal des débats.

C'est un succès fulgurant : les gens de tous milieux font la queue pour acheter le dernier numéro et connaître la suite des aventures de la Goualeuse, de Rodolphe et du chourineur. Les malades s'accrochent à leur paillasse pour ne pas trépasser avant la fin de l'histoire, les illettrés quémandent à de bonnes âmes la lecture des épisodes... et la chambre des députés débat de façon houleuse des faits relatés par Eugène Sue et de ses propositions "scandaleuses" pour améliorer le sort des gueux, mais néanmoins honnêtes gens, qu'il soutient à grand renfort d'exemples et de comparaisons avec nos voisins européens, de théories scientifiques et ... de bon sens. Certaines les ont fait rire aux éclats, paraît-il...

A partir de là, c'est un engrenage qui va métamorphoser l'auteur et va contraindre les dirigeants de la France du XIXième à un débat dont ils se seraient bien passés...
Et tout cela se ressent au fil de la lecture. On sent cet investissement croissant, cet intérêt qui émerge pour "ces pauvres gens". D'un début somme toute, légèrement voyeur et divertissant, on approche petit à petit de la dénonciation de l'oppression des classes aisées et le social, la justice et l'équité montrent leur nez au détour des pages.
Eugène Sue "sort son drapeau rouge" et force les classes dirigeantes à poser les yeux là où l'indifférence, le dégoût et la supériorité de leur position les y détournaient...

Tout y passe :
- le système judiciaire et la mise en question de la peine de mort et de son utilité
- la pauvreté extrême des travailleurs qui face au moindre incident de la vie (chômage, maladie, ..) se voient pousser au crime pour survivre
- la condition des femmes à la merci des maris et des pères qui pouvaient à leur guise et en toute impunité les envoyer sur le trottoir après les avoir inscrites sur le livre de police
- le sort des malades dans les hôpitaux publics, plus cobayes soumis aux recherches de la médecine, que patients
- l'abandon des malades mentaux dans les mouroirs où on les enfermait
- ...
La liste est encore longue, je m'arrêterai donc là.

Eugène Sue ne fait pas que dénoncer : Il réfléchit aux solutions envisageables. Il se documente. Il interroge les spécialistes : médecins, juristes... Il propose des lois.
L'auteur livre au débat publique et au jugement populaire les grands faits sociaux et les questions éthiques de son époque et leurs solutions possibles. Un lanceur d'alertes, dirions-nous aujourd'hui ?

Justement, il est frappant de s'apercevoir que bon nombre de maux qui empoisonnaient les gens et la société de son époque sont encore présents et font toujours débat.
L'être humain n'est encore pas au centre des préoccupations des dirigeants de notre société. Il est toujours relégué derrière les intérêts financiers, gouvernementaux (puissance et pouvoir) de quelques uns au détriment de tous les autres. Est-ce une fatalité ? La démocratie participative, un mythe ?
Est-que tout cela n'est qu'une grande farce ? Un grand théâtre "où des idiots dirigent des aveugles" et nous, pauvres fous, nous y croyons ?
Tel ce magistrat du parquet de Toulouse écrivant à Eugène Sue "Continuez, monsieur, à faire servir votre voix puissante à signaler d'aussi déplorables lacunes dans notre législation : il est impossible qu'elle ne soit pas enfin entendue de nos législateurs."

Je vais ranger "mon drapeau qui n'a de rouge que le nom" et espérer vous avoir donner l'envie de vous plonger dans cette oeuvre d'une puissance de peu d'équivalence.
Quels auteurs soulèvent aujourd'hui des vérités qui dérangent et lancent à ce point des débats sociétaux d'une telle force ?
J'ai en tête certains noms. Plutôt des journalistes. Des poètes. Où sont les philosophes ? Et pour les romanciers ?
Qu'en pensez-vous, si vous êtes arrivés jusqu'au bout de cette encore fort (trop) longue chronique ?
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