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Critique de Rodin_Marcel


Sureau François - "L'Obéissance" - Gallimard, 2007 (ISBN 978-2070781928)

L'auteur utilise un évènement réel, survenu pendant la Première Guerre Mondiale : suite à un crime particulièrement atroce commis au début 1918 sur la dame Rachel Rijckewaert, une cour de justice belge avait condamné à mort le coupable, un certain Emile Ferfaille. Mais depuis 1863, le roi des Belges avait l'habitude de gracier les condamnés à la décapitation et de commuer leur peine en détention à perpétuité, si bien que le bourreau belge n'avait plus aucune expérience en la matière. L'Etat belge se tourna donc vers l'Etat Français, et demanda l'envoi à Furnes du bourreau en fonction à Paris, Anatole Deibler, accompagné de ses assistants et – bien sûr – d'une guillotine en état de marche. Aussi incroyable que ceci puisse paraître, l'Etat Français accéda à cette demande, et détacha le bourreau, ses assistants, son matériel, le tout escorté d'une escouade militaire pour se rendre à Furnes, malgré les combats qui faisaient rage au même moment.
En effet, nous sommes en mars 1918, au moment où les empires germaniques lancent une dernière gigantesque offensive pour crever le front à hauteur d'Amiens, la charnière entre les troupes britanniques et françaises dépourvues de commandement unique. Les anglais plient sous l'assaut, les soldats français vont tenir et littéralement se faire tuer sur place (parmi eux, l'un des frères de mon arrière-grand-père, mort à la bataille de Moreuil).
Dans la réalité, Furnes se trouvait dans la toute petite zone de Belgique flamande qui échappait à l'occupation par l'armée impériale prussienne, et le condamné fut bel et bien décapité en place publique le 26 mars 1918 (voir "De laatste onthoofding" de Siegfried Debaeke), alors que la ville était soumise à un intense bombardement de la part des troupes de Ludendorf.

L'auteur s'empare de cet épisode, et en fait une narration éclatée entre les divers protagonistes, depuis le bourreau et son humble escorte de soldats jusqu'au Garde des Sceaux qui souhaite plaire à son homologue Belge, pensant ainsi bénéficier d'une promotion.
L'auteur se limite à quelques modifications, ainsi de la nature du crime commis, du statut du condamné qui devient sous sa plume un militaire doté de bons états de service, et place la ville de Furnes en zone occupée pour bien montrer combien les Etats peuvent s'entendre dans l'absurdité, même lorsqu'ils se livrent une guerre acharnée.
La narration est très bien maîtrisée, le style est concis et sans emphase.
Il s'agit là d'un roman écrit par un auteur né en 1957, qui parvient à rendre compte sans pathos de toute l'horreur de la Grande Tuerie, de ses charniers, de son absurdité : voir par exemple en pages 75 et 76, l'explication du long trajet de Paris à Furnes, mis en parallèle avec la longue attente du condamné à mort.
Par ailleurs, la double narration, située d'une part au niveau des protagonistes effectuant réellement ce déplacement, d'autre part au niveau des planqués de l'arrière, jugeant de la situation depuis leurs bureaux parisiens, rend de façon saisissante l'une des facettes cruciales de cette ignoble guerre, à savoir la distance énorme entre ceux qui souffrent et meurent sur le terrain et ceux qui ont décidé de cette atrocité depuis leurs beaux salons.

Un livre à lire, et à recommander.
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