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Critique de caro64


Le cuisinier n'est pas un roman social, ni un roman gastronomique, ni un roman noir. Il est tout cela à la fois (plus ou moins bien dosé) et c'est ce qui fait son originalité.

Martin Suter nous emmène dans les arrière-cuisines de milieux qu'on connaît mal, dans un pays où le monde des affaires est omniprésent.

Maravan, un clandestin tamoul réfugié en Suisse, travaille dans les cuisines d'un grand restaurant renommé. Doté d'un grand talent qu'il tient de son expérience de cuisinier ayurvédique acquise dans son pays (notamment auprès de sa grand-tante, Naguey), il devient vite un très bon élément. Désireux de retrouver les saveurs de son pays, de son enfance, il tente chez lui des expériences de cuisine moléculaire étonnantes qui mêlent traditions et nouvelle cuisine. Renvoyé sèchement de son poste de commis pour avoir emprunté un ustensile spécifique, il se retrouve dans une situation très délicate et craint d'être obligé de retourner au Sri Lanka, alors en proie à une guerre civile. Mais sa maîtrise de cette nouvelle cuisine associée à son talent vont lui permettre de saisir une toute autre chance. Avec l'aide d' Andréa, la jolie serveuse du restaurant où il travaillait, impossible à séduire mais ambitieuse et prête à l'aider, Maravan va mettre au point un concept novateur de cuisine aphrodisiaque livrée à domicile, le Love Food, associant l'originalité de la cuisine moléculaire et les vertus ancestrales de l'Ayurvéda. Lui et son associé Andréa vont être rapidement victimes de leur succès auprès des couples en mal de passion. Les bénéfices s'accumulent et le bouche à oreille aide à remplir le carnet de commandes.

C'est à ce moment que le roman prend un tournant décisif, et que Martin Suter nous plonge astucieusement dans une autre ambiance. Car Maravan se rendra compte que grâce à l'un de ses repas s'est conclu un accord entre des hommes d'affaires suisses et des trafiquants d'armes qui alimentent la guérilla dans son pays. Pris au piége d'une machination infernale, il ne peut supporter d'être l'auxilliaire des massacres perpétrés parmi les siens. Mais la décision d'arrêter ce commerce culinaire fructueux est difficile à prendre au regard de sa situation. Et la note pourrait bien être salée…

L'auteur réussit à nous embarquer dans une histoire à la fois fantaisiste et plausible, entre chronique sociale et histoires d'amour. le roman gagne son rythme grâce à un revirement de situation surprenant, très plaisant.


Cet écrivain a du talent pour l'observation juste, les dialogues enlevés, les personnages impeccablement dessinés. Entre sa pure passion de poète des saveurs et son besoin de survivre, Maravan illustre à la fois une culture déracinée, la nostalgie de l'exil se grisant du pur «parfum de l'enfance», et la réalité quotidienne suisse si froide ; son portrait est très convaincant et émouvant.

Dans le soin qu'il apporte à la construction Suter inclut une investigation précise, sur les milieux qu'il explore ou les aspects techniques et scientifiques des thèmes qu'il traite, tels la cuisine ayurvédique ou la situation politique au Sri Lanka.

Au final, cela nous donne un conte moral agréable à lire, bien construit : un bon roman à savourer en attendant l'été... touchant ! Mais j'avoue que la fin m'a laissé sur ma faim. La résolution de l'intrigue manque de finesse. L'écriture de Martin Suter est peut-être meilleure dans la fable qu'en prise directe avec la réalité. Appliquée, elle séduit tout d'abord et crée une tension, qui hélas retombe ensuite comme un soufflé.


J'ai cependant eu constamment les papilles en éveil en suivant les péripéties de Maravan. Plusieurs de ses recettes sont reproduites en fin d'ouvrage. Mais même si elles ont été revues (et révisées à la baisse) par un chef connu, la virtuosité qu'elles réclament est néanmoins bien réelle. Si vous voulez jouer les maestro culinaires déguisés en Tamoul dans votre cuisine, il va falloir vous équiper. Sans parler des ustensiles indispensables à la réalisation des «espumas» les plus nuageuses, il vous faudra aussi un «rotovapeur», instrument de distillation fort onéreux, dont l'acquisition par Maravan entraîne d'ailleurs dans le roman toutes sortes de drames… Dommage !


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