Martin Suter parle de
Montecristo .
Martin Suter parle de son roman
Montecristo, thriller remarquablement documenté sur le monde banacaire suisse. Entretien réalisé par
Dominique Conil et
Sophie Dufau.
C'était une autre des milles choses qui manquait tellement à Taler depuis la mort de Laura : cette coexistence silencieuse qui pouvait durer des heures. Aucun des deux ne s'était jamais senti obligé de parler s'il n'en avait pas envie. Pouvoir se taire ensemble, avait un jour remarqué Laura, témoignait d'une plus grande harmonie que parler ensemble.
- Je croyais que les castes avaient été abolies ?
- Exact. Mais tu dois faire partie de la bonne caste abolie.

Weynfeldt passa à la salle de bains, prit une douche et mit un pyjama frais. Comme chaque soir. Il en possédait quatorze, tous fournis par son tailleur de chemises, tous pourvus d'un monogramme, six bleu clair pour les jours pairs, six blancs à rayures bleues pour les jours impairs, deux blancs pour les dimanches. L'une des petites marottes qu'il s'autorisait et qui lui permettaient d'apporter un peu de luxe et de régularité dans sa vie. Car il croyait à la régularité comme à une vertu prolongeant l'existence.
Mais la théorie inverse existait aussi: la régularité rendait les journées uniformes, or plus les évènements et les habitudes se répétaient, plus les jours se ressemblaient, et avec eux les années. Jusqu'à ce que la vie vous donne un jour l'impression de n'être qu'une seule et même journée.
Weinfeldt était convaincu du contraire. Plus on faisait le même chose, plus on fréquentait les mêmes lieux, plus on rencontrait les mêmes gens et plus les différences étaient réduites, plus le temps passait sans se faire remarquer, Une personne que l'on voit chaque mois plutôt que chaque année a toujours le même âge. Et l'on donne aussi à l'autre l'impression de ne pas vieillir.
La régularité ralentit de cours du temps. Weynfelt en était fermement persuadé. Les distractions peuvent certes rendre la vie plus riche en évènements, mais elle la raccourcissent aussi à coup sûr.
- Un triste adieu.
- Mais n'est-ce pas aussi une délivrance ?
Il réfléchit.
- Quand celui qui avait été condamné à vie quitte la prison, c'est aussi un adieu.
Le pachadi aux fleurs de nîm était déjà prêt. Il l' avait préparé à l' ancienne, avec les fleurs amères du margousier, le nectar suave des fleurs de palmier de Palmyre mâles, le jus acide des fruits du tamarinier, la chair de fruit fraîche de la mangue et l' enveloppe piquante des piments. Car un pachadi aux fleurs de nîm devait avoir le goût de la vie : amer, sucré, acide, frais et épicé.(p 72)
Taler but une gorgée. De toutes les boissons qu’il connaissait, la bière frappée était sa préférée. La sensation qu’elle procurait à la bouche, la manière dont elle descendait dans la gorge, les précautions avec lesquelles elle déployait son effet – tout cela était admirable et rien ne le valait.
Soudain, Mme Knezevic lança :
— Ce n'étaient pas des Serbes.
— Pourquoi pas ?
— Des Serbes auraient pris ordinateur. Et caméra. Et chaîne. Tout.
— La police dit que c'étaient des Albanais, des Roumains ou des Marocains.
Mme Knezevic y réfléchit un bref instant. Puis elle agita la tête avec détermination.
— Eux aussi auraient tout pris.
(p. 59)
Debout à la fenêtre, Peter Taler tenait sa bouteille de bière à deux doigts, par le goulot, afin que sa main n'en réchauffe pas le contenu. Comme s'il avait jamais laissé à la bière qu'il prenait à son retour du travail le temps de tiédir.
Allmen était un toxicomane de la lecture. Cela avait commencé dès ses premiers pas dans le livre. Il avait rapidement constaté que lire était la manière la plus simple, la plus efficace et la plus belle d'échapper à son environnement.
[ jour de canicule ]
Ils allèrent à la séance de l'après-midi du Palazzo. On projetait 'Titanic'. Ça n'était pas vraiment le film le plus récent, ni vraiment du goût de Fabio. Mais le cinéma était climatisé, le film durait plus de trois heures, et Leonardo Di Caprio mourait frigorifié entre les glaçons de l'Atlantique.
(p. 121)