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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Rien n'est constant dans ce monde que l'inconstance."
(J. Swift)

Ecole de la satire pétillante ! Si Raphaël voulait refaire son "Parnasse" en version "18ème siècle", il aurait probablement représenté Swift comme un gnome farouche armé d'un fouet, qui frappe avec une cadence cruelle sur tout et tout le monde autour de lui. Mais ces coups de fouet ne sont pas mesquins - pas tout à fait - ils sont avant tout bougrement drôles.
Le bien nommé Swift se moque d'abord de tous les cultes chrétiens; disons, surtout des catholiques et des calvinistes, en épargnant avec une certaine pudeur les anglicans et les luthériens, qui ne prennent qu'un coup sporadique par-ci, par-là. Il n'épargne pas non plus le "savoir moderne", les sciences (y compris l'ésotérisme et l'occultisme), la Royal Society et certains de ses "savants" avec leur art de discourir pompeusement sur rien. Mais aussi la littérature, la censure, les passions humaines et la société tout court.

Tout ce que Swift a écrit sont des textes satiriques de haut vol, mais "Le conte du tonneau" est d'un envol presque vertigineux. Pour utiliser une charmante expression tchèque, Jonathan Swift possède une capacité de "transformer le pet en boulette", et dans le cas de ce pamphlet, il nous a roulé une sacrée boule ! S'il était un bousier (je sais bien qu'il ne l'était pas, mais essayez au moins d'imaginer qu'il l'était !), il aurait du mal à la pousser devant lui, tellement cette boule serait fabuleusement géante !

Et de quoi nous parle donc cet appréciable fascicule ?
C'est déjà un peu plus difficile...
En tout cas, si vous déduisez du titre qu'il s'agit d'un discours sur un tonneau, vous vous trompez royalement; ce n'est absolument pas le cas. du tout. Cela prouve d'emblée l'imperturbable et hautaine impertinence de Swift. On va croiser ce tonneau uniquement dans une brève remarque qui dit que c'est un bon moyen pour détourner l'attention d'une baleine, si les marins ne veulent pas être attaqués par ce géant des mers. Evidemment c'est encore une allégorie roublarde, comme presque chaque phrase de ce livret. de plus, avant de lire "Le conte", j'avais toujours imaginé que ça doit parler de la vente des carpes de Noël en Bohême, ces carpes vivantes qu'on va choisir dans un tonneau au marché, quelques jours avant les fêtes. Je pourrais longuement discourir sur ces carpes, mais revenons au sujet...

Tout le premier tiers de l'ouvrage consiste en toutes sortes de différentes préfaces, introductions et dédicaces, ce qui est déjà un signe manifeste que vous tenez entre vos mains de la grande littérature. Ha ! Si vous n'aimez pas toutes sortes de préfaces, introductions et dédicaces, vous n'aimerez probablement pas le reste non plus, mais je serais étonnée que des gens aussi moralement diminués puissent exister dans ce bas monde. Ne pas aimer les préfaces, introductions et dédicaces ! Imaginez donc !
Dans les deux tiers restants, Swift développe majoritairement une allégorie sur trois frères et leurs trois manteaux respectifs légués par leur père mourant : un article vestimentaire qu'ils vont s'empresser de transformer, chacun à sa façon. Et pendant que les frères transforment, Swift se lance avec bonheur dans l'art de la digression, et nous bombarde de thèmes divers qui n'ont absolument rien à voir avec le travail acharné de nos trois stylistes.

Mais un peu de sérieux. Dans un pamphlet sur les excès religieux, les trois frères ne sont pas difficiles à identifier : Pierre (catholique), Jean (calviniste) et Martin (luthérien), et ce manteau qui va se transformer dans les mains de chacun n'a pas besoin d'explication non plus. En ce qui concerne les nombreux détours, appelés clairement "digressions" (y compris l'excellente "Digression à l'éloge de la digression"), Swift, un partisan des "Anciens", dissèque (parfois littéralement, dans la partie sur la médecine) l'esprit de son époque et les changements qu'elle est en train de subir. Il tourne en dérision les contradictions entre "être" et "paraître", le culot des uns et la crédulité des autres, en nous servant un plat hautement digeste et bien épicé.
Le titre anglais "A Tale of a Tub" fait référence à la pièce de Ben Jonson, et il désigne aussi ce qu'on appelait à l'époque les Cock-and-Bull Stories, autrement dit des histoires sans queue ni tête, qui sautent du coq à l'âne. Alors même le titre s'intègre parfaitement à cette parodie, qui se moque de digressions savantes par des digressions encore plus savantes.

5/5 très subjectifs, car je ne sais pas si j'oserais recommander cette lecture peu recommandable; cela dépend si vous êtes sensible au beau langage tordu du 18ème, et à ce côté "grand canular". "Le conte du tonneau, contenant tout ce que les arts et les sciences ont de plus sublime & de plus mystérieux ; avec plusieurs autres pièces très curieuses" (titre complet) était extrêmement populaire à sa sortie (1704) chez les "Anglois", qui ont sans doute apprécié l'humour bien "british" de ce sarcastique Irlandais en perruque.
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