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Critique de JulienDjeuks


Satire ironique à ne pas prendre pour une grosse blague. Dans la même veine rabelaisienne que pour ses Voyages de Gulliver, publiés trois ans auparavant, Swift prend réellement part aux débats politiques de son temps, ici à un débat sur les remédiations possibles à la pauvreté et notamment à la multiplication des enfants mendiants et délinquants (débat qui aboutira au Royaume-Uni à l'adoption de la New Poor Law en 1834, enfermement et mise au travail forcé des mendiants et des enfants des rues, loi inspirée par les travaux de Malthus, Bentham ou Ricardo – traite infâme des enfants dénoncée notamment par Charles Dickens dans Oliver Twist en 1837-1839). On peut rapprocher ce pamphlet tout en ironie dénonçant l'immoralité des élites, au court texte "De l'esclavage des nègres", de Montesquieu, paru en 1748 (dans l'Esprit des lois). Tout comme son contemporain, Swift utilise les arguments de rentabilité économique, le genre de raisonnement froid, à l'apparence scientifique, utilisé par ceux qui durcissent la condition des pauvres, pour justifier et maintenir un traitement inhumain qui ne s'explique que par l'intérêt économique qu'ils ont à cette situation. A la manière d'un Socrate, l'ironie développe les discours, imite la pensée de ses adversaires, développe et enfle l'idée, jusqu'à ce qu'ils explosent de ridicule.
Pour l'auteur, la bonne société se plaint continuellement des pauvres mais n'accepte aucune des mesures logiques qui pourrait améliorer la situation (car elles rogneraient certains de leurs privilèges). Des mesures évidentes que tout le monde connaît très bien, comme entre autres augmenter les bas salaires, car il n'y a pas que des sans travail, il y a aussi quantité de travailleurs pauvres, qui basculent dans la mendicité ou criminalité au moindre accident de la vie, période de crise… particulièrement dans les campagnes (situation de nombre des travailleurs « journaliers » et paysans non propriétaires, tout à fait attesté dans les études historiques sur la vie des paysans à cette époque), poussant ainsi ces bras inutiles, affamés et désespérés sur les routes des villes.
Au lieu d'améliorer la situation en donnant aux pauvres une chance de s'en sortir honnêtement, les élites les voient uniquement comme une mauvaise herbe à éliminer, des fainéants à réprimer, une population quasiment sauvage à éduquer et contrôler par la force. Pour Swift, les riches sont responsables de la pauvreté puisqu'ils exploitent les travailleurs pauvres pour accumuler des richesses. En plus de cela, ils les haïssent au point de vouloir les traiter des manières les plus inhumaines qui soient. Il ne leur reste donc qu'à les manger ! D'une manière métaphorique, les élites mangent déjà les enfants des pauvres puisqu'ils prennent l'argent de leurs parents. Cette métaphore d'une société dévorant ses pauvres est particulièrement populaire dans la culture anglophone (pensons par exemple au titre d'un célèbre album du groupe américain Funkadelic, America eats its young, en 1972). On peut dire qu'elle illustrerait bien la thèse principale des travaux de Karl Marx (le capital se constitue par confiscation de la valeur du travail).
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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