Partout dans la ville, sous d'innombrables auvents noirs désormais à la mode, on voyait ouvrir de nouveaux restaurants de luxe, des bars à huîtres, des bistrots qui servaient uniquement des conserves, des bars à tapas et des fast-foods.
Jeunes célibataires, retraités, indépendants ou couples prospères du monde entier recherchaient une maison à Lisbonne. Parmi les milliers de bâtiments décrépis, abandonnés et murés de la capitale, beaucoup étaient en cours de restauration et mis sur le marché à des prix exorbitants que presque aucun Portugais ne pouvait payer.
Marcelo s'engagea dans une rue étroite et leva les yeux vers le ciel entre les maisons. Le linge séchait au vent sur les balcons. Il craignait que ne lui tombent dessus des bouts de façade, des pots de fleurs ou encore des monceaux de débris de petits balcons rouillés qui semblaient sur le point de se détacher. Il y a quelques années, les guides touristiques parlaient encore du charme décadent de Lisbonne. Avec l'aggravation de la crise, les journalistes de voyage ont commencé à parler de son "charme morbide".
Pendant un bref instant, il prit conscience du contraste entre Berlin et Lisbonne. D'un côté, un vaste espace impérial au centre de l'Europe où dominent le gris et l'opulence, de l'autre, un monde de minuscules quartiers colorés et entrelacés bordant un bras de l'Atlantique. A Lisbonne, tout le monde pouvait se toucher ou presque, on se croisait partout, épaule contre épaule.
Son père disait toujours qu'on devait faire face à la vie comme le faisaient les conducteurs des tramways lisboètes : en accélérant sans hésiter à travers les ruelles. Il suffisait de garder la vitesse et le cap; la plupart des obstacles disparaîtraient d'eux-mêmes.