Citations sur Château de cartes (45)
A une époque où la presse, les think tanks et les organisations internationales commençaient à classer le Portugal comme un "paradis fiscal" avec une "structure de pouvoir opaque", on pouvait au-moins compter sur le procureur général et deux ministres indépendants pour estimer que la ligne rouge avait été franchie et qu'une réaction était encore possible.
Cependant, on évoquait ici et là des opérations financières d'envergure entre des organisations criminelles, les banques, les partis politiques, tous présents au Parlement, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite.
Certes, il bénéficierait de moyens importants, mais Marcello pressentait qu'il serait impossible de défaire les mailles criminelles entremêlant le monde de la finance et les milieux politiques, les grandes fortunes privées et les pouvoirs publics toujours plus ou moins interdépendants. Au moment où il prendrait ses fonctions, il n'aurait que deux options : se plier progressivement aux pouvoirs installés ou devenir une cible à abattre pour les haut gradés de la police judiciaire, les procureurs, les gendarmes de la bourse, les bureaucrates de la Banque centrale du Portugal et des organismes de contrôle du secteur bancaire, ainsi que pour les politiques et gouvernants corrompus. Pour ce qui était des entreprises et de l'élite financière, Marcelo deviendrait persona non grata s'il devait refuser de se faire acheter. En d'autres termes, Marcelo conserverait peu d'amis.
Le crime se trouve là où est l'argent.
La crise faisait son bonhomme de chemin, appauvrissant le pays, mais cela ne le sauverait pas. Pendant vingt-cinq ans, l'ancien président avait conduit le pays à la banqueroute. Et c'était lui, Carmina, le criminel ? L'état ponctionnait plus du tiers des revenus de toute la population, vendait le patrimoine national au rabais, et c'était lui, Carmina, le criminel ?
Si son intention était de contribuer au changement d'un régime corrompu dans le pays où il avait choisi de résider, Marcelo devait admettre qu'il était préférable de le faire du côté du pouvoir et de l'autorité. Pas du côté de la plume rouillée, mais du côté du glaive à la lame tranchante.
Quand la presse révélait un scandale, la télévision finissait par détourner l'attention grâce aux innombrables émissions de divertissement et aux telenovelas.
Même agonisante, la presse au Portugal demeurait un business contrôlé par des banquiers, des hommes d'affaires des secteurs les plus divers, des figures publiques au casier judiciaire bien rempli, des investisseurs au capital d'origine criminelle ou bien encore des hommes de paille d'intérêts obscurs.
Les journaux faisaient souvent état des interventions d'agents de la répression des fraudes qui surgissaient, armés, dans des cafés, des restaurants, des boutiques ou au siège de modestes entreprises, ici pour une broutille, là pour des amendes impayées, des heures d'ouverture non respectées ou des prix mal affichés. Ils voyaient tout et facturaient tout. Pour leur part, les autorités de supervision qui contrôlaient les banques, les sociétés côtées en bourse et la criminalité en col blanc, les policiers de la banque et de la bourse, avaient la réputation d'être plus bienveillants, voire aveugles. Pour leur plus grand profit parfois. Désormais, tout ce beau monde était réuni dans un même quartier général appelé l'"Institut", exhibant tant de miroirs en façade que personne ne savait ce qu'il s'y passait.
Des touristes marchaient pieds nus, chaussures à la main, sur les trottoirs de la capitale, comme si le pays goûtait déjà le sort qui l'attendait : devenir une grande plage au bord de l'océan, un véritable parc d'attractions.