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Critique de CeCedille


Décidément le professeur Tabucchi avait l'art de pimenter ses romans policiers de saveurs exotiques (une pincée de droit, de politique, de philosophie, de poésie...), sans rien sacrifier à l'intrigue. "La tête perdue de Damasceno Monteiro" (1977) l'illustre à merveille.
Un cadavre décapité est trouvé sur le hauteurs de Porto par un tzigane. Un jeune journaliste de Lisbonne est envoyé par sa feuille de chou pour mener l'enquête. Il connait mal la ville, dont il déteste la spécialité : les tripes à la mode de Porto. Et puis, plutôt que de courir après les faits divers, il rêve d'écrire. Par exemple, un essai sur "L'influence de Vittorini sur le roman Portugais d'après guerre" . Mais qui est donc ce Vittorini, qu'il veut étudier à travers le prisme et dans le style de Georg Lukács ?
Premier zigzag. La question de la "Grundnorm" chez Kelsen en est un autre. Acrobatiquement posée à la pointe de la pyramide des normes et invoquée mal à propos, la mère de toutes les normes risque de justifier une cascade fâcheuse d'obéissance, au nom du positivisme juridique.
Et voici Alexander Mitscherlich qui surgit du récit, avec ses étranges théories psychanalytiques sur la torture, que pratique la police portugaise, comme les nazis naguère.
Puis voici Pierre-Jean Jouve, traduisant quelques vers des Poèmes de la folie de Hölderlin : "Moi aussi je te dirai tout le passé"...
On a un peu le tournis, mais on finit par "comprendre le concept"...
Plus bucolique est l'apparition fugace des rabelos navigant sur le Douro avec leur chargement de nectar, toutes voies dehors, et la découverte progressive, au fil des pages du charme de la vieille ville qui vaut mieux que son plat emblématique.
Ces détours, savoureux, ramènent au récit et notre tintin reporter à son complice, qui boit comme Haddock, avocat monumental entre Orson Welles et Charles Laughton. C'est lui qui mène la barque (en l'occurrence une grosse Chevrolet) et montre comment la presse mène le justice par le bout du nez jusqu'au procès.
Voici un roman à tiroirs, policier bien ficelé fondé sur un fait divers réel. On ne lâche pas l'intrigue. Un magistrat, Antonio Cassese, qui présidait le tribunal Pénal de la Haye, a conseillé l'auteur pour la partie juridique. Les bavures policières, la torture, la marginalité sont le support de la réflexion philosophique de Tabucchi. Métaphysique et métaphores s'insinuent à chaque coin de phrase, comme déjà dans le superbe "Pereira prétend", paru en 1994.
Le voyageur partant pour le Portugal, à la découverte de Lisbonne et de Porto serait bien avisé de glisser ces bouquins dans ses bagages.
Lien : https://diacritiques.blogspo..
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