Avant, tout le monde racontait que, quand on touche un Noir, sa couleur déteint sur vous.
Je ne m'habitue toujours pas à ce qu'on me traite de nègre, mais j'ai arrêté de compter les fois où ça m'arrive.
Les mots de l'homme sont pires qu'une gifle.
- Des désagréments ?
Les mots ont jailli hors de ma bouche sans que je puisse les retenir.
- C'est comme ça que vous appelez le fait que Paulie ait été à moitié assommé par une balle ? Qu'Yvonne ait été piétinée dans les couloirs ? Que Chuck soit entre la vie et la mort ? Vous appelez ça un désagrément ?
Personne ne peut me juger pour mes pensées et mes sentiments. Personne sauf moi et Dieu. Et je ne suis plus tellement sûre de la façon dont Dieu juge les gens.
Je ne comprends pas pourquoi Il punit quelqu'un comme Chuck. Ou le garçon du Mississippi. Ou tous les Noirs en général. Qu'on nous interdise l'entrée d'un magasin, ce n'est peut-être pas tout à fait la même chose qu'un passage à tabac, mais ça reste un châtiment.
- Si Sarah avait un solo dans le spectacle de printemps, continue-t-il, ça leur montrerait à tous, non ? Ils peuvent dire ce qu'ils veulent sur la couleur de la peau, mais le talent, ça ne se discute pas.
Si seulement elle n'était pas aussi jolie. Si seulement son visage n'éveillait pas en moi un feu interdit.
Je n’ai pas honte. Il y a bien d’autres raisons d’avoir honte. Comme l’affirme Sarah, nous nous punissons nous-mêmes pour des fautes qui n’existent que dans notre tête et nous finissons par nous convaincre que ce que nous faisons, nous pensons, est mal.
- Il y aura toujours des gens pour vouloir décider à ta place. Et qui essaieront de te dire qui tu es. Souviens-toi : quoiqu’ils prétendent, c’est toi qui sais vraiment.
- D’accord, dit-elle. En tout cas, moi, je préfère l’histoire contemporaine. Ça nous aide à mieux comprendre le monde d’aujourd’hui.
Je proteste :
- Peut-être, mais l’Antiquité, c’est important aussi. La Grèce antique est le fondement de la civilisation.
- Pas de toute la civilisation, non, répond-elle. Les Égyptiens avaient bâti les pyramides deux mille ans avant que les Grecs construisent le Parthénon.
- Vraiment ? C’est intéressant…
Puis je me rappelle à qui je parle et j’ajoute précipitamment :
- mais je crois que tu te trompes.
- Pas du tout, réplique Sarah. Tu n’as qu’à regarder dans l’encyclopédie.
- Alors, pourquoi est-ce qu’on parle toujours des Grecs et pas des Égyptiens ?
- D’après toi ?
Du doigt elle pointe mon poignet avant de me montrer le sien. Elle veut me faire comprendre que c’est parce que les Grecs étaient blancs et les Égyptiens non. Je hausse les épaules :
- C’est idiot ! À l’époque, les gens ne pensaient pas à ces choses. Sarah sourit – Et je me rends compte de ce que je viens de dire. C’est sa faute. Elle déforme tout ce que je dis pour m’embrouiller.
- Les gens ont toujours pensé à ces choses, affirme-t-elle. Pas de la même façon, c’est tout. On a réécrit des livres d’histoire, on a déclaré des guerres, on a instauré l’esclavage – Tout ça à cause de la couleur de la peau. C’est pour ça que j’aime l’histoire. Elle fait réfléchir à tout ça.