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Critique de SebastienFritsch


C'est en regardant Laurence Tardieu parler de sa façon de travailler que j'ai eu envie de découvrir son écriture. J'ai mis un peu de temps, mais je gardais son nom dans un coin de ma mémoire, parce qu'un certain nombre de ses réflexions sur le métier d'écrivain m'avaient touché.
D'ailleurs, en entamant Un temps fou, mis à part le fait que le début du roman me semblait quelque peu mystérieux, j'ai été marqué par certaines phrases que Laurence Tardieu glisse sous la plume de sa narratrice, écrivain elle aussi.
J'ai par exemple relevé celle-ci : "Je n'ai jamais eu peur de la page blanche. J'ai toujours pensé qu'on avait besoin de pages blanches pour écrire, de longs moments de silence qui n'en sont pas, qui ressemblent à ce qu'est le corps lorsque tout gronde à l'intérieur mais qu'on ne peut émettre le moindre son, il y a trop de confusion, trop de chaos, il faut attendre, attendre, un peu de clarté peut-être, un peu de paix dans tout ce fracas, pour qu'enfin les phrases soient à nouveau possibles."
Malheureusement, cette première impression positive s'est rapidement trouvée contredite. En effet, plus j'avançais dans ma lecture, plus ces réflexions se faisaient rares et, surtout, plus le roman me semblait mystérieux... Et quand je dis mystérieux, c'est parce que je pensais vraiment que, sous des scènes aussi vides et un style aussi plat devait se cacher quelque chose, une révélation, une idée géniale. Eh bien non. Je suis arrivé au point final sans rien découvrir. Parce qu'il n'y avait rien à découvrir. Et, en définitive, je me suis fait la réflexion tout au long du roman, que je n'avais lu que des mots.
"Ce ne sont que des mots", voilà une expression que l'on destine habituellement aux beaux parleurs, plus habiles à trousser de belles promesses qu'à réaliser des actes concrets. Et pourtant, cette phrase, elle a résonné dans mon esprit à maintes reprises, pendant que je parcourais Un temps fou. Car rien de concret ne se dégageait de ces lignes : l'amour fou que ressent la narratrice pour l'homme aux yeux gris avec lequel elle a passé une nuit entière à discuter ne s'exprime que dans des images excessives, stéréotypées, du genre : je plonge dans son regard, je vacille quand il s'approche, je m'enflamme, je brûle, je suis prise par le désir... Oui, et alors ? Moi, j'en veux plus, je veux savoir ce que cela signifie et je veux le savoir par des gestes, des regards, des façons de parler ou de ne pas parler, des façons de réagir, de modifier son comportement, de bouleverser ses habitudes ou, au contraire, de ne rien changer et de contenir cet amour fou, au prix d'un sacrifice et d'une douleur démesurés (la dernière option semblant la plus adaptée pour expliquer les intervalles de temps (9 ans, 5 ans, 2 ans) entre deux rencontres avec l'homme qui, prétendument, occupe toutes les pensées de la narratrice). A défaut d'avoir trouvé ces manifestations concrètes de la passion, je n'ai tout simplement pas pu y croire. Pour moi, elle n'existait pas, n'avait ni forme, ni goût, ni odeur, ni couleur. Elle n'était que des mots.
Bien sûr, vous me rétorquerez qu'un roman, ce n'est, par définition, rien d'autre que des mots, de l'encre posée sur du papier. Ce à quoi je répliquerai : "Eh bien non !" Un roman, ce sont des images, des sons, des odeurs (Le Parfum de Süskind est l'exemple évident), des sensations (essayez de supporter le froid de la Délégation norvégienne d'Hugo Boris, pour voir). Alors quand on ne voit rien d'autre que de l'encre posée sur du papier, c'est la grosse déception.
Déception entretenue par beaucoup d'autres points noirs. En vrac :
Pourquoi répéter dix fois la même chose ? Par exemple : "Je plonge dans son regard", "Quand il s'approche, je vacille et j'ai l'impression que je vais tomber", "Je l'ai rencontré dans une soirée où les gens dansaient autour de nous et nous avons discuté toute la nuit", sont quelques uns des leitmotiv plutôt agaçants de ce roman.
Pourquoi ne pas nommer les personnages pendant plus de la moitié du bouquin, puis, subitement, leur donner des prénoms ? Est-ce parce qu'avant ça, il y a l'amour pour cet homme aux yeux gris, et que cet amour fou efface tous les autres protagonistes ? Mais alors, pourquoi cet homme là n'a pas non plus de prénom ?
Pourquoi écrire très longtemps de façon linéaire puis se mettre subitement à mélanger les époques ? Pour complexifier une intrigue inexistante ?
Pourquoi insérer des souvenirs d'enfance qui n'apportent rien, n'éclairent en rien cette passion brûlante et sont, eux aussi, composés de nombreux clichés ?
Quelques belles phrases, donc, dans ce roman ; mais qui n'arrivent pas à contrebalancer la déception globalement ressentie.
Lien : http://sebastienfritsch.cana..
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