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Critique de Sachenka


Je suis retombé récemment sur le maitre des illusions. Je l'avais lu vers l'âge de quinze ou seize ans. La première fois, parce que j'ai revisité ce roman chaque année dans la décennie qui a suivi. Il m'a beaucoup marqué, ce fut et c'est encore un de mes coups de coeur. D'abord, il y a ce personnage-narrateur, Richard Papen. Tout de suite, je me suis identifié à lui, ce jeune homme, fils unique de parents peu chaleureux, dans une ville moderne (lire ici sans histoire) de la Côte Ouest et ayant eu une enfance ordinaire, voire morne. « Les années où j'ai vécu là-bas m'ont créé un passé jetable comme une tasse en plastique. » (p. 19) Ma propre enfance ne fut pas détestable mais l'herbe est toujours plus verte chez le voisin. Il me semblait que je n'avais rien vécu de si extraordinaire que cela. Comme ce jeune homme, je m'étais tourné vers la télévision, la littérature et l'histoire pour aller chercher ce petit je-ne-sais-quoi. Et, en avoir eu l'occasion, pourquoi pas le grec classique ?

Quand vient le temps pour Richard Papen d'aller à l'université, il saute immédiatement sur l'occasion d'intégrer un campus de la Côte Est. Hampden, avec ses vieilles traditions et ses bâtiments austères (à l'anglaise), est parfait ! le jeune homme se lie rapidement avec ses cinq nouveaux (et seuls) camarades de classe. Il est charmé, enchanté par leur magnétisme. Il y a Edmond ‘'Bunny'' Corcoran le sympathique, les jumeaux Charles et Camilla Macauley, l'élégant Francis Abernathy et le génie des langues Henry Winter. Ils sont beaux, ils sont intelligents et ils sont riches, quoi demander de mieux ! Ah oui, ils ont une fascination pour le grec classique et l'Antiquité ! C'est l'autre aspect qui m'a conquis dans le maitre des illusions, toutes ces références à l'histoire, aux langues anciennes, à ces civilisations perdues, au théâtre, à la mythologie, à la phisolophie, etc. Ils formeront un groupe de privilégiés, un club sélect en quelque sorte. Qui ne voudrait pas évoluer parmi eux ? Bien sûr, tout dépend des goûts de départ.

Ces six étudiants sont encadrés par Julian Morrow. Personnage charismatique, universitaire distingué, maitre à penser, un peu comme ces précepteurs à l'ancienne. On comprend alors qu'il se limite habituellement à cinq étudiants (il fera une exception pour Richard) ! « C'était un causeur merveilleux, magique […] » (p. 55) Les quelques cours auquel j'ai ‘'assisté'' m'ont fasciné. Oh, comme j'aurais aimé me retrouver parmi eux à discourir sur les Érinyes, L'Orestie, l'oubli du moi, les bacchanales, les tactiques militaires telles que rapportées par Thucydide, la terza rima, l'Enfer de Dante et tant d'autres sujets palpitants. Même dans leurs temps libres, ils prennent au sérieux les présages et échangent sur la distance qui séparait les soldats dans une légion romaine ou bien sur la nature du chaos primordial d'Hésiode. Quelle vie !

Auteur d'eux gravitent plusieurs personnages secondaires colorés comme le Dr Roland, ce vieux bonhomme détraqué, Marion la petite amie de Bunny et plusieurs énergumènes de la faune estudiantine comme Judy Poovey, Spike Romney et Cloke Rayburn. J'adore les romans dans lesquels de tels personnages réussissent à se rendre mémorables malgré leur importance relative et leur présence limitée Dans une entrevue, l'auteure Donna Tartt admettait avoir été influencée par Charles Dickens qui parvenait à faire ressortir l'essentiel de chacun en quelques mots seulement, à l'aide d'une caractéristique physique, de gestes, de tics et surtout de paroles.

Comme je l'écrivais plus haut, c'est le personnage principal, le décor universitaire et ses thématiques (littérature et civilisations anciennes) qui m'ont accroché. Qu'en est-il de l'intrigue ? La première partie se déroule lentement. On finit par comprendre que les étudiants ont essayé de mettre en pratique une idée lancée pendant un de leur cours : vivre une bacchanale, un rite dionysiaque ancien qui se transforme en débauche mais dont l'objectif est d'oublier le ‘'moi'' ne serait-ce qu'un instant. Malheureusement, l'expérience prend accidentellement un tournant tragique. Pour protéger leur secret, ils doivent éliminer un des leurs qui en savait trop et qui devenait dangereux. N'ayez crainte : je ne dévoile rien, on l'apprend dès le début. Et Richard se laisse persuader qu'il doit en être ainsi. Jusqu'où est-on prêt à aller pour se sentir vivant, pour appartenir à un groupe élitiste ? le meurtre est-il justifiable ? C'est sans doute plus facile d'y répondre quand on est abreuvé toute la journée de principes élevés (mais d'une autre époque) de « Devoir, piété, loyauté, sacrifice. »

La deuxième partie est plus longue. La disparition de Bunny n'est pas relevée immédiatement par son entourage et, une fois alertée, la police mène ses recherches tranquillement. Quand l'étau se serre davantage autour du petit groupe, la tension monte et les dissenssions inavouées jusque là font surface. La découverte du cadavre ne change rien et les jeunes plongent dans l'autodestruction. Amour, inceste, alcool. On assiste à une sorte de chute aux Enfers. Je suis persuadé que, s'il avait été au courant du drame qui se déroulait sous son nez, leur professeur aurait pu en faire le sujet de plusieurs cours fascinants. On comprend alors qu'il y a toujours des conséquences à nos actes mais qu'il est bien difficile de les prévoir et, surtout, d'en prendre la responsabilité. C'est alors que les héros tombent, que des meneurs se dévoilent et que les maillons faibles se révèlent.

Deux ou trois trucs m'ont agacé. Par exemple, comment un professeur aussi fin et bon juge de caractère que Julian Morrow a pu sélectionner un idiot comme Bunny ? Pourquoi Henry s'évertue à combler inutilement cet ami de cadeaux comme des voyages ? Mais bon, « l'Allegro e Il Pensero ». Et, tant qu'à y être, pourquoi ces cinq jeunes étudient le grec classique ? Mais les choses sont ce qu'elles sont, il ne sert à rien de s'en morfondre. Pour tout le reste, je suis preneur. Donna Tartt a mis près de dix ans à écrire ce chef d'oeuvre et, selon moi, ça en valait le coup. Quand je l'ai lu, il y a une vingtaine d'année, c'était l'histoire la plus originale que j'avais lue et je suis resté avec cette impression. J'attends encore quelque chose de semblable…
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