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Critique de JustAWord


Amis arachnophobes, welcome back !
En 2018, Denoël Lunes D'encre traduisait Dans la toile du temps de l'anglais Adrian Tchaikovsky, une histoire de colonisation à travers le temps et l'espace où une espèce inattendue allait devenir le nouvel espoir d'une humanité auto-destructrice : les araignées !
Et plus précisément, les Portia !
Génial opus de xénobiologie et réflexion passionnante sur la communication et l'évolution, Dans la Toile du Temps se terminait sur un espoir, celui d'une coopération entre araignées intelligentes et Humains avec un grand H, capables désormais de comprendre les arachnides et de vivre en paix avec elles.
Trois ans plus tard, voici qu'Adrian Tchaikovsky remet le couvert avec Dans les profondeurs du temps, nouvelle épopée spatio-xénobiologique qui nous révèle d'emblée une terrible vérité : Avrana Kern n'était pas la seule terraformatrice de l'univers !

Sur la route de Damas
C'est en effet avec une autre équipe de terraformateurs que commence Dans les profondeurs du temps à bord d'un gigantesque vaisseau, l'Égéen dirigé par le scientifique Yusuf Baltiel et son bras droit, le fantasque et asocial Disra Senkovi.
Contrairement à Kern, ce n'est pas un mais deux mondes potentiellement habitables que découvre l'expédition. La première planète, Damas, est recouverte de glace mais pourrait facilement devenir une planète-océan accueillante si l'on s'en donne la peine. La seconde, Nod, réserve quant à elle une immense surprise à l'Égéen : la vie !
Une vie animale primitive sans aucune structure sociale ou véritable civilisation, mais une vie quand même. Erma Lante, la biologiste, commence alors à étudier cette découverte hors du commun tandis que Baltiel réfléchit aux implications éthiques d'une telle présence extra-terrestre sur sa mission.
Disra Senkovi, de son côté, a une idée étrange et brillante à la fois : tester le virus de Califi et Rus, celui-là même qui permet une évolution accélérée des espèces, sur… ses poulpes chéris ! Bientôt, le scientifique colonise Damas avec une population d'octopodes imprévisibles et querelleurs.
Pourtant, ce n'est pas de Damas que viendra la véritable menace mais de Nod et d'une espèce prête à tout pour partir vers… une grande aventure !
Bien des années plus tard, une autre équipe d'explorateurs arrive dans le système de Nod et Damas à bord du Voyageur.
Cette équipe cherche des traces d'une humanité disparue et dont les derniers membres survivent sur une lointaine planète en compagnie d'araignées intelligentes vivants au sein d'une société matriarcale. Personne, ni Humains ni arachnides, ne s'attend à ce que cache ce coin d'univers perdu à des années-lumière de la planète de Kern !
Pour son nouvel opus, Adrian Tchaikovsky déplace son action vers de lointains horizons mais ne change pas, fondamentalement, la recette gagnante de son précédent ouvrage.
On pourrait croire dès lors que Dans les profondeurs du temps fait dans la redites…mais c'est bien mal connaître l'auteur britannique et son imagination débordante !

Huit tentacules ou Huit pattes ?
Tchaikovsky reprend une même structure narrative avec Dans les profondeurs du temps en alternant entre passé et présent, permettant au lecteur de découvrir par petits bouts l'histoire du système de Damas et de Nod (et incidemment de l'expédition de terraformation humaine qui y échoue) tout en entretenant le suspense sur ce qu'il se trame dans le présent lors de la redécouverte de ces deux planètes par l'équipage du Voyageur.
L'anglais tente alors simultanément de nous montrer les évolutions qu'on subit les relations arachnides-Humains depuis le dernier roman mais, en plus, de nous faire prendre conscience qu'il existe toujours des barrières intrinsèques et extrinsèques à la cohabitation entre les espèces, qu'il s'agisse des araignées, des Humains…et désormais des Poulpes.
C'est sur Damas que cette nouvelle espèce prospère et va, très rapidement, devenir capable de maîtriser le voyage spatial.
Comme toujours, Adrian Tchaikovsky est un maître lorsqu'on en vient à parler de xénobiologie et d'imaginer des races nouvelles dont le raisonnement n'a que peu à voir avec celui des êtres humains.
Les Poulpes, comme les arachnides dans le précédent roman, sont passionnants et se distinguent radicalement des deux autres espèces précédemment citées.
Le britannique imagine une société impulsive et imprévisible, en perpétuel changement, où la violence est aussi soudaine que passagère, où l'on compose avec plusieurs « cerveaux » et avec une curiosité dévorante.
Même si les Poulpes sont moins humanisés cette fois — car ils sont principalement appréhendés par le point de vue de l'équipage du Voyageur — , il n'en reste pas moins l'une des pièces maîtresses du récit.
À travers eux, et en restant focalisé sur les explorateurs du Voyageur, Adrian Tchaikovsky nous rejoue un énième premier contact où la place du langage prend toute son importance.
Encore une fois, la communication est la clé de la paix inter-espèces.

Les langages de l'univers
Prolongeant sa réflexion de Dans la Toile du Temps, l'auteur anglais s'attache à démontrer le rôle central joué par le langage et la communication dès que l'on entreprend d'aller vers l'autre.
De façon particulièrement brillante, Adrian Tchaikovsky explore les nombreuses possibilités de l'évolution, montrant autant de chemins possibles dans la communication qu'il y a d'espèces. Si les humains s'expriment en faisant vibrer leur larynx, les araignées utilisent les vibrations générées par leurs pattes et les postures de leurs corps. Les Poulpes, eux, affichent leur sentiment directement sur leur Parure, leur peau et leurs tentacules, en changeant de formes et de couleurs. Dès lors, il faut trouver des schémas universels pour se comprendre, des ressentis similaires et, finalement, des terrains d'entente qui font fi des spécificités de langage pour mieux les retranscrire de façon universelle. Il s'agit d'ailleurs ici plus de traduction et de compréhension que de lisser les choses.
Car à travers les différentes façons de communiquer, Tchaikovsky amorce une autre thématique, celle de la transmission du savoir.
Et c'est ici que le roman se fait le plus intéressant, dans sa façon de montrer comment se transmet l'histoire dans les diverses civilisations, utilisant divers supports et prenant en compte certaines caractéristiques essentielles de l'espèce.
C'est aussi à ce point de l'histoire que la « menace » qui se terre sur Nod va avoir un intérêt tout particulier pour le récit. Sans trop en dire, Tchaikovsky parvient à nous rejouer une variation de The Thing tout en s'interrogeant justement sur la nature et les intentions de la Chose en question.
Dès lors, l'anglais oppose la mémoire génétique à la mémoire acquise avant d'y déceler des points communs pour mieux les réconcilier.
Le Savoir, élément déjà prépondérant avec Dans la Toile du Temps, devient cette fois un enjeu universel capable de conquérir l'espace, il est aussi le marqueur de la civilisation et de l'entité consciente d'elle-même.
Peut-on vraiment se considérer comme une espèce intelligente si l'on n'a pas conscience de son passé et de son rôle dans notre évolution ?

L'importance de la diversité
Contrairement à pas mal de romans revendicateurs et militants du moment, Adrian Tchaikovsky parvient de façon particulièrement astucieuse à démontrer que la force vient de la pluralité et non de l'uniformisation.
Il le démontre à la fois par la pluralité des espèces présentes dans son histoire et leur façon d'interagir entre elles, mais aussi, et surtout, par l'évolution de cette espèce menaçante (et prodigieusement bien utilisée) qui tient longtemps lieu de danger interstellaire dans le récit.
En utilisant également Avrana Kern (ou ce qu'elle est devenue), son interaction avec Meshner et la tentation d'écraser son esprit pour son seul profit, le britannique offre au lecteur une ode à la diversité des êtres, des langages, des pensées, des civilisations.
Sans lourdeur et avec une précision narrative qui force le respect, Dans les profondeurs des temps montre que l'uniformisation est l'ultime fléau de l'évolution et de la pensée, que la cohabitation et la différence sont autant de chances pour l'être biologique comme pour l'être philosophique.
Une démonstration magistrale que l'on peut utiliser une histoire ambitieuse pour parler de principes moraux et sociaux sans sacrifier pour autant ses héros et ses enjeux sur l'autel d'un militantisme aveugle lourdingue.
Tchaikovsky impressionne et se permet même quelques caméos bibliques/littéraires amusants où s'invitent Noé, Paul ou encore Achab.
Les amateurs apprécieront.

Suite passionnante et foisonnante, Dans les profondeurs du temps continue de régaler le lecteur grâce à son sens aigue du suspense narratif, à son traitement malicieux de thématiques universelles et, surtout grâce à l'imagination xénobiologique débordante de son auteur, Adrian Tchaikovsky.
Lien : https://justaword.fr/dans-le..
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