Après vingt-deux heures, ceux-ci restaient allumés ; mais le son diminuait à mesure que les garçons se tournaient vers la drogue, s’endormaient, donnaient des coups de fil, téléchargeaient des films. Le fer recommençait à chanter à cette heure-là, tandis que la frustration, la tristesse, les souvenirs, la nostalgie, l’absence de fenêtre ouvrable rendaient l’un ou l’autre tellement fou qu’il s’en prenait aux barreaux.
Le fer chantait toute la nuit.
Par principe, personne ne se plaignait. Chacun avait le même chant en lui. Chacun savait qu’il n’était qu’à un cheveu de perdre la tête. Seuls les détenus qui avaient réussi à devenir un peu moins humains ne tapaient pas sur les barreaux. Tout comme ceux qui avaient accepté la sauvagerie de la forêt, et l’avaient domestiquée pour survivre.
Ceux qui n’arrivaient pas à changer de peau -habités par des idées de justice, de liberté, d’amour, de famille, de regret et de rédemption – se jetaient contre le fer.
Le cycle frénétique d’arrêt et de reprise du bruit se poursuivit un peu avant de cesser brusquement. Oontth – le grand kaki voûté de service devant la cellule numéro un – jeta un coup d’œil et précisa : c’est le gamin d’Assam. Le juge a encore refusé d’écouter sa demande de libération sous caution. Six mois, neuf dates et pas une seule audience. Aujourd’hui, il a injurié le juge en assamais, menaçant de violer sa mère. Le juge a voulu savoir ce qu’il disait. Son avocat a répondu qu’il criait des prières à Kamakya Devi.
Le regard vide que les hommes lançaient à leurs employés n'avait cessé de le frapper. Ils les considéraient sûrement comme leurs machine - une ressource économique, rien de plus.
Dans le pays, deux accélérateurs attirent l'attention sur un forfait. Son atrocité n'est pas le plus important ; c'est l'identité de celui qui veut sa résolution, qui l' est. L' auteur d'une douzaine de meurtres commis dans un bidonville reste introuvable, en revanche le porte feuille volé de l'épouse du ministre délégué au budget est retrouvé au bout de vingt-quatre heures, deux villes plus loin.
Il n'avait aucun moyen de savoir que la littérature n'est pas une arme pour conquérir le monde, c'est surtout une bombe qui fait exposer le moi afin que l'on passe au crible les atomes des fragments pour trouver le sens des origines. p 51
En raison de la violence inhérente aux castes et aux religions, la civilisation indienne agonise une fois par semaine, voire deux ou trois.
Le bon mari persévéra : l’Inde est devenue un chaudron bouillant où les peurs sont attisés par des politiciens renommés qui sont soit des conciliateurs soit des oppresseurs. Aucun homme politique ne peut espérer réussir sans être l’un ou l’autre. Il ne s’agit pas de cynisme censé maintenir un équilibre, pour reprendre la formule des journalistes. En fait, c’est de la provocation, une façon de solliciter et de s’approprier la brute dans l’être humain, afin de créer le monstre du pouvoir.
On n’avait qu’à choisir le sabre. Religion, caste, langue ou région. Chacune avait sa cohorte d’ennemis imaginaires.