Les Dames de Riprole, tome 3 : L'Épervier de l'Espoir

Alors qu’il la traquait, le goût de la chasse l’avait pris, et tandis qu’il s’égarait pour la seconde fois dans un fourré où il avait cru la surprendre, le souvenir d’une chanson chantée par Béranger s’était mis à tourner en boucle dans son esprit. Elle parlait de l’amour sincère d’un seigneur pour sa dame, et de la jalousie d’un enchanteur. Transformée en biche blanche, la châtelaine s’ébattait dans les bois un jour où son mari chassait. Ignorant qu’il poursuivait sa femme, ce dernier avait pisté la bête toute la journée pour la tuer au coucher du soleil. Reprenant enfin forme humaine, son épouse était morte entre ses bras.  Arnault trouvait stupides ce genre de niaiseries sentimentales. Il n’était toutefois pas parvenu à s’ôter ces madrigaux de la tête le temps de sa battue. Sa proie s’apparentait pourtant plus à une renarde qu’à une biche, et elle lui donnait certainement davantage de fil à retordre.

À dix-sept ans, Judith défiait les interdits de l’Église avec une insouciance égale à son désir de briser le joug familial. Plus Enguerrand lui interdisait de pratiquer une médecine ancestrale, et plus elle se plaisait à déjouer sa surveillance pour se rendre au chevet de gens que l’on disait souffrants, ou quémandant son intervention. Des miséreux pour la plupart, trop pauvres pour envisager l’achat d’une préparation chez un apothicaire. Las de voir son autorité battue en brèche, le seigneur de Feurfailles avait fini par la marier à un marchand, après l’avoir déshéritée au profit d’un de ses neveux. Ce faisant, son père l’exilait loin des rumeurs en se débarrassant d’elle.