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Critique de PedroPanRabbit


  Il est fort probable que personne ne se soit risqué à la lecture de ce roman sans la série télévisée : son esthétique superbe, sa mise en scène léchée et son interprétation magistrale ont constitué des appâts non négligeables. Reconnaissons en effet que le monde des échecs n'est pas assez séduisant pour convaincre le premier lecteur venu de se lancer dans "Le jeu de la dame", le résumé pouvant laisser croire qu'il est réservé aux seuls initiés des damiers et des plateaux bicolores. Or il n'en est rien : si les échecs ont effectivement une place importante, si l'auteur était bel et bien joueur lui-même et s'il est évident qu'il a fait de minutieuses recherches pour donner vie aux parties avec le plus de crédibilité possible, il en va ici des échecs comme il aurait pu en être de n'importe quelle activité qui aurait galvanisé l'héroïne.

  Car c'est Beth qui reste le réel sujet de l'histoire. L'univers des échecs n'a de sens que parce qu'il illustre avec une analogie quasi symbolique la structuration de la pensée de cette jeune fille, extraordinaire par son intelligence atypique. Dans un monde en perpétuel mouvement, au fil d'un parcours semé de ruptures, le jeu d'échecs devient finalement le seul repère stable auquel peut s'accrocher cette héroïne solitaire. de tournoi en tournoi, jouer, déjouer les attaques de l'adversaire et gagner deviennent les seules motivations de Beth, le seul intérêt de chaque nouvelle journée. Il n'est nul besoin de connaître les règles pour comprendre ce qui se joue à chaque partie : la prose limpide de l'auteur suffit, dans la description du plateau et des coups successifs, pour cerner la tension dramatique de chaque scène et la vivre aussi intensément que Beth elle-même.

  Walter Tevis, qui s'est inspiré de son propre rapport à l'alcool pour raconter les addictions de Beth, a imaginé une héroïne tellement humaine au-delà de son intelligence unique qu'on a tous cru à un moment ou à un autre que "Le jeu de la dame" était adapté d'une histoire vraie. Mais non, Beth est une pure fiction. Elle n'en demeure pas moins fascinante et inspirante, dans ses faiblesses autant que dans ses forces. A travers sa consommation démesurée de drogue et d'alcool, la jeune fille puis jeune femme appréhende son corps comme un vaste terrain d'expériences dont elle cherche à avoir la maîtrise en frôlant dangereusement ses limites. En quête tantôt de paix, tantôt d'une stimulation égale à celle que lui procure un plateau d'échecs, Beth cherche par tous les moyens possibles à se rappeler qu'elle est bien vivante malgré les deuils et pertes qui jalonnent son chemin. le fidèle lecteur l'accompagne sur cette voie dangereuse, entre génie et folie, en quête de résilience.

En bref : Un roman brillant qui méritait d'être redécouvert. Malgré l'aura trop cérébrale qu'il laisse imaginer de par la thématique des échecs, "Le jeu de la dame" est en fait un puissant roman initiatique doublé d'un thriller psychologique intense ; son héroïne, Beth, solitaire, instinctive et prodigieusement intelligente, parvient à conquérir le lecteur malgré sa personnalité atypique. Avec elle, on chute et on se relève plusieurs fois sur ce vaste plateau d'échecs qu'est la vie, jusqu'à remporter l'ultime partie.
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