| LES LIVRES PAR LEURS TRADUCTEURS |#2
Rencontre avec Jacques Mailhos Pour sa traduction de
LE JEU DE LA DAME
de Walter Tevis
/// RÉSUMÉ
Kentucky, 1957. Apres la mort de sa mere, Beth Harmon, neuf ans, est placee dans un orphelinat ou l'on donne aux enfants de mysterieuses vitamines censees les apaiser. Elle y fait la connaissance d'un vieux gardien passionne d'echecs qui lui en apprend les regles. Beth commence alors a gagner, trop vite, trop facilement. Dans son lit, la nuit, la jeune fille rejoue les parties en regardant le plafond ou les pieces se bousculent a un rythme effrene. Plus rien n'arretera l'enfant prodige pour conquerir le monde des echecs et devenir une championne. Mais, si Beth predit sans faute les mouvements sur l'echiquier, son obsession et son addiction la feront trebucher plus d'une fois dans la vie reelle.
11/03/2021 |Les éditions Gallmeister
/////// Cette série d'entretiens est réalisée par les étudiants en Master 2 de création littéraire de l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines dans le cadre de leur stage au festival vo-vf.
:::: LE PROGRAMME COMPLET de la série :
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© FESTIVAL VOVF 2021
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- J'ai votre correspondant, dit-il. De Denver.
Il y eut une série de déclics, puis une voix masculine, étonnamment forte et claire.
- Allston Wheatley à l'appareil.
- Monsieur Wheatley, c'est Beth.
Il y eut un silence.
- Beth ?
- Votre fille. Elizabeth Harmon.
J'ai reçu une offre qui m'a l'air prometteuse, de la part d'un cabinet d'avocats blancs d'Atlanta. Ils ont besoin d'une négresse pour coller à l'époque...
Ce qu'ils veulent, c'est une Noire bien proprette dotée d'un joli cul et d'un vocabulaire bien riche. Pendant mon entretien d'embauche, j'ai lâché plein de mots comme "répréhensible" et "dichotomie"- ça leur a tout de suite plu.
Il se sentait comme un homme entouré d’animaux relativement aimables, un peu gauches et moyennement intelligents, qui découvre peu à peu que leurs concepts et leur relations sont beaucoup plus complexes que son éducation ne pouvait lui permettre de le supposer. Un tel homme peut finir par découvrir que, selon qu’il emploie telle ou telle des nombreuses formes de jugement et d’évaluation qui sont l’apanage d’une intelligence supérieure, les animaux qui l’entourent, qui souillent leur propre tanière et mangent leurs propres excréments, pouvaient être plus heureux ou plus sages que lui.
Son esprit était lumineux, et son âme lui chantait la mélodie des délicieux mouvements des pièces.
D'autres enfants étaient là [ à l'orphelinat ] depuis longtemps et savaient qu'ils ne partiraient jamais. Ils s'appelaient eux-mêmes les "perpètes". Beth se demandait si elle était une perpète.
- Mais merde, vous n'êtes pas des dieux!
- Non. Mais vos dieux vous ont-ils déjà sauvés?
L’attention libérée de toutes les scories de sa vie présente, elle fixait l’échiquier pendant que les combinaisons se déployaient dans sa tête. De temps à autre, un bruit fait par Mme Wheatley ou une tension dans l’air de la chambre lui faisait perdre sa concentration, elle regardait autour d’elle d’un air hébété, sentant la douleur de ses muscles contractés et l’aiguillon, piquant et intrusif, de la peur dans son ventre.
Ce qui étonna Beth, c’est à quel point ils jouaient mal. Tous autant qu’ils étaient. Au cours des toutes premières parties de sa vie, elle en avait compris plus qu’eux. Ils laissaient des pions traîner partout sur l’échiquier, et leurs pièces prêtaient le flanc à des prises en tenaille. Quelques-uns d’entre eux tentèrent de grossières attaques visant à faire échec et mat. Elle les balaya comme des mouches.
La Lecture est le partage profond et subtil d'idées et de sentiments par des moyens sournois. C'est une grossière invasion de l'Intimité et une violation directe des constitutions des Troisième, Quatrième et Cinquième Ages. L'Enseignement de la Lecture est également un crime contre l'Intimité et la Personnalité. De un à cinq ans pour chacun ces délits.
Elle appartenait à cette catégorie de gens qui vont à l'église irrégulièrement et par sentimentalisme et dont les journalistes de la télévision disent qu'ils sont profondément religieux - elle affirmait que la religion était pour elle une grande source de force morale. Sa pratique religieuse consistait essentiellement à se rendre aux conférences du dimanche après-midi sur le magnétisme personnel et aux conférences du mercredi soir sur les hommes qui avaient réussi dans les affaires grâce à la prière. Sa foi reposait sur la croyance que, quoi qu'il pût arriver, tout s'arrangerait ; sa morale était que chacun devait décider seul de ce qui était bien pour lui. Apparemment, Betty Jo avait décidé que pour elle, c'étaient le gin et les aides sociales - comme tant d'autres.