L'esprit philosophique consiste à préférer aux mensonges qui font vivre les vérités qui font mourir.
Les croyants croient par faiblesse. Je vous l'accorde, mais je vous répondrai - avec autant de chances de vérité et d'erreur - que les incroyants nient par défi, ce qui est affectation de la force, donc toujours faiblesse. Les uns s'aplatissent devant leurs dieux comme des chiens serviles, les autres aboient comme des roquets hargneux. Et tout cela se situe au plus bas niveau de l'humain.
Croyants et incroyants feraient mieux de se rapprocher pour essayer d'élucider ensemble à quoi correspond dans l'invisible leur oui et leur nom. Car ils se complètent : le croyant sème et arrose, l'incroyant sarcle et émonde. Ainsi, dans ce qu'ils ont de profond, l'un et l'autre prennent soin de la semence divine dans l'homme. Plus encore: le croyant et l'athée peuvent coexister dans le même individu - et l'athéisme vécu par les saints sous le nom de nuit des sens ou de l'esprit va plus loin dans la négation et le désespoir que celui des incrédules. (pp. 9-10)
Foi chrétienne. Je ne m'en sépare pas, je m'en éloigne. Pour mieux la voir. J'emprunte, pour la contempler, le regard de l'étranger et de l'ennemi. Incapable d'habiter à son centre comme les saints et las de ramper à sa surface comme les dévots, je prends du recul. Et plus je m'éloigne, plus je sens, au fond de moi-même, l'irrésistible pureté de son attraction. De près, je voyais ses taches : de loin, je ne vois que ses rayons. (p. 1)
On peut toujours apprendre ce qu'on ne sait pas, non ce qu'on croit savoir.
Plus une âme est éloignée du mystère originel, plus elle est condamnée à se nourrir de chiffres : l'inventaire remplace pour elle l'invention...
Il est malaisé de composer avec le monde sans se laisser décomposer par le monde.
L'homme est le seul animal qui sait qu'il mourra. Et c'est aussi le seul qui agisse comme s'il ne devait jamais mourir. Son esprit l'élève au-dessus du présent, mais non au-dessus du temps. Et la conversion consiste pour lui à se détourner de l'illusion du perpétuel pour retrouver la réalité de l'éternel. (p. 139)
« La cendre ne parvient qu'à me prouver la flamme » (Hugo). Réfutation parfaite de tous les pessimismes: comment le mal, qui est le résidu du bien, peut-il être conçu comme sa négation? Le pessimisme se sert de la cendre pour nier le feu, du marécage pour nier la source, du squelette pour nier la chair, de tous les déchets pour réfuter les origines. (p. 27)
Sois dissimulé, tu paraîtras mystérieux, et ton prestige croîtra en fonction de ta réserve, car les hommes imaginent des merveilles derrière toutes les portes fermées. Tout vide voilé leur fait l'effet d'un trésor caché.
Qu'es-tu donc, toi qui m'aimes ? Le miroir où je me regarde ou l'abîme où je me perds ?