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Citations sur Livre (50)

la tradition nous apprend que la secte des épurateurs ordonnait d’éliminer les œuvres inutiles. ses adeptes se vantaient d’avoir reçu la connaissance vraie dans des textes étrangers aux écritures. ils transformaient les paraboles antiques, les oracles des prophètes et les paroles divines en autant de témoignages justifiant leur rage purgative. le bien et le mal, soutenaient-ils, relèvent d’opinions humaines. ils en étaient venus à un tel degré d’impiété qu’ils affirmaient pouvoir commettre librement tous les sacrilèges. on dit qu’ils envahissaient les hexagones, feuilletaient négligemment un volume et condamnaient des rayons entiers. il n’y a toutefois pas lieu de pleurer sur les trésors inestimables anéantis par leur fanatisme. cette histoire dont le poète aveugle se fait l’écho n’est sans doute qu’une exagération ou même une complète légende. qui pourrait entreprendre de diminuer la bibliothèque ? elle est tellement énorme que toute mutilation d’origine humaine ne saurait être qu’infinitésimale. si chaque exemplaire déchiré est unique et irremplaçable il restera toujours un nombre démesuré d’ouvrages qui ne diffèrent du premier que par une lettre ou une virgule

Paragraphe 71.
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ce qui se joue dans la mémoire silencieuse des palimpsestes n’est pas seulement l’opposition entre l’erreur et la vérité mais le combat du vrai avec le faux. les murs de la bibliothèque sont souillés des mensonges de peuples ennemis, des accusations qu’ils se lancent, de leurs falsifications herméneutiques et numéranciennes. ces ruses grossières n’abusent qu’eux-mêmes. plus pernicieux sont les agissements des groupuscules de comploteurs et contre-comploteurs qui fourmillent dans la bibliothèque. ceux-là sont des trafiquants de mémoire qui cachent le faux dans le vrai et enfouissent le vrai dans le faux. ils réécrivent les palimpsestes de leurs adversaires et on ne compte plus les textes gnostiques derrière lesquels ils se dissimulent. leurs mystifications sont destinées à la naïveté des scribes qui les multiplient par leurs commentaires.

Paragraphe 68.
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dieu est dieu, inconcevable et inconnaissable. la bibliothèque est la bibliothèque, concevable mais non moins inconnaissable. inaltérables tautologies. mais voici la question, la bibliothèque est-elle l’incarnation de dieu ? beaucoup se sont interrogés. beaucoup disent oui. beaucoup disent non. d’autres ont apporté des réponses plus subtiles mais guère plus sûres. certains croient que dieu naît des écritures

Paragraphe 61.
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les rêves sont capables de faire exister tout ce qui existe ou existera jamais
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il n’est pas interdit que des scribes empressés aient expurgé ces versions de leurs lignes embarrassantes, la littérature sacrée est pleine de ces discrètes mutilations.

Paragraphe 67.
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des peuples aujourd’hui éteints nous ont laissé la connaissance d’un être qui ne craint pas plus la mort que le sommeil qui nous anéantit chaque nuit. il franchit les mers et les déserts, il survole l’indus, l’euphrate et le nil, c’est le grand oiseau pourpre du soleil, le phénix. partout il va devant les temples et il émeut les dieux et les hommes de son chant profond. aucune musique ne peut lui être comparée, aucune n’atteint ses accents et ses harmonies, aucune n’égale sa mélodie suave dont les notes pleines de nostalgie ont le pouvoir de ranimer les souvenirs enfuis. quand le phénix a parcouru les quatre cent quatre-vingt-dix-neuf ans de sa longue existence, sentant décliner ses forces, il retourne là où il est né, à l’endroit où se joignent le ciel et la terre, sur les hauts plateaux d’abyssinie où veillent les géladas, ces singes-lions au fier sourire dont la poitrine porte la marque écarlate qui les désigne comme les gardiens de son sanctuaire. il rassemble de grandes inflorescences qu’il ploie et entrelace sur une roche escarpée, construisant au-dessus des brumes et des peines du monde le nid qui sera son bûcher. il s’installe sur ce lit et attend le jour prochain. aux premiers rougeoiements de l’aube, il entame une dernière fois son chant, appelant la lumière sur lui. lorsque le soleil atteint son zénith la voix du phénix s’abaisse en une douce plainte, un rayon fait jaillir une flamme et le voilà qui s’embrase, bientôt réduit en cendres. s’il meurt c’est pour vivre. à la première rosée se forme un obscur magma. il en naît une larve aux reflets cuivrés qui tisse autour d’elle un cocon dont la soie se durcit en une paroi de pierre. les anciens assurent que la nymphe se nourrit des rayons du soleil, aucun ne mentionne la durée de sa métamorphose. quand l’œuf se brise paraît un oisillon roussâtre qui va grandir lentement sous la garde occulte des géladas qui paissent sur les prairies d’altitude. après onze ans son corps se couvre de pourpre et sa gorge s’éclaire de plumes aux couleurs du soleil. le phénix a repris sa figure première. ce n’est encore qu’un adolescent de quelques mètres d’envergure quand il quitte le nid qui fut son berceau et la tombe de son père pour regagner le monde où la naissance et la mort sont séparées. nous aimons croire à la sérénité de cet oiseau au vol monotone que ne troublent ni le léopard ni les vents de sable et qui sans s’émouvoir s’immole à intervalles réguliers comme une horloge sans âme. mais l’oiseau de lumière a une ombre. le phénix est un être inquiet qui souffre d’un mal caché. chaque génération éduque la suivante, les pères enseignent les fils et qui enseigne le phénix ? le jeune oiseau ne chante pas, il n’émet qu’un fouillis de notes incohérentes, un sous-chant que les mystères de l’initiation n’ont pas visité. cette amnésie récurrente il doit l’affronter à chaque nouvelle naissance. les prêtres de baal le savaient dont on dit qu’ils avaient consigné les chants du phénix dans leurs textes sacrés. leurs manuscrits ont brûlé lors de la destruction de carthage et avec eux a disparu leur science de la divination et la prédiction du passé. polybe rapporte que scipion versa des larmes devant les flammes de la ville incendiée par son armée à la pensée du sort des grands empires auquel rome même ne saurait échapper. des dieux de carthage rien n’est demeuré, pourtant le secret de l’oiseau pourpre nous est resté, les théories platoniciennes en ont perpétué la trace. mais qui connaît vraiment ses efforts millénaires pour ne pas oublier ? la mémoire est la grande affaire du phénix. quand dans la force de l’âge il se pose près des temples et que devant le soleil son chant s’élève, ce n’est pas au ciel ou à ses dieux qu’il s’adresse mais à leurs imparfaites créatures. ses rythmes racontent ses origines, ses espérances, tout ce qu’il sait et désire transmettre à lui-même, son fils, sa descendance. la mémoire humaine est fragile, elle ne peut recueillir que des fragments de ses vastes récitatifs. il doit inlassablement répéter son chant partout sur la terre afin d’instruire les hommes. ils conserveront pour quelques générations les parcelles de son enseignement. lorsque jeune à nouveau le phénix revient voler au-dessus des temples d’uruk, memphis, ninive, babylone, ugarit, tyr, byblos, héliopolis, carthage, alexandrie, au gré des destinées humaines, il écoute leurs psaumes et leurs cantiques qui montent jusqu’à lui, il y déchiffre les cadences et les rythmes de sa musique, il réunit les lambeaux de ses souvenirs, son esprit frémit de son savoir renaissant. pendant de longues années il ne vocalise qu’en son sommeil, ce ne sont encore que des murmures mais ils font trembler ceux qui au loin entendent ces formidables babillages auxquels répondent les cris des divinités nocturnes. il faut un siècle de vie au grand palimpseste céleste pour recomposer son chant. enfin arrive le jour où il peut entamer sa mélopée et reproduire sa mémoire à travers les hommes de courte durée. le phénix sait qu'il est un revenant solitaire errant d’un âge à un autre. rien de singulier pour lui dans son existence unique et toujours recréée car tel est son destin. il est son propre fils, son héritier, son père, lui et non lui, le même et non le même, conquérant par la mort une vie éternelle. cependant il s’interroge sur son savoir. d’où lui vient cette faculté de comprendre le langage de sa musique ? comment s’assurer de l’exactitude des souvenirs retrouvés ? ses réminiscences renouvelées n’accumulent-elles pas d’imperceptibles erreurs ? si le cycle des renaissances du phénix est infini alors infini est son insensible oubli.
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des peuples apparemment plus rancuniers ou méthodiques que d’autres enregistrent sur les vestibules de leurs salles des fautes qui ne seront jamais effacées. les fautes légères se dénoncent oralement, il est permis qu’elles se diluent insensiblement dans la mémoire des hommes. mais le pardon par l’oubli est un acte involontaire et pour les fautes graves l’opprobre doit être éternelle, c’est l’infamia perpetuum, une muraille d’anathèmes qu’ils élèvent pour se protéger d’eux-mêmes. quels que soient les mots employés ses sentences ne varient pas, il a accusé à tort, il a pris la vie, il a abrité un proscrit, il a effacé l’infamie, il a jeté un sort, il a insulté les écritures, il a volé un livre. on dit que les plus vieux palimpsestes de la bibliothèque sont des infamies. chacun redoute de voir son nom se figer dans la prison de la mémoire. écrit une fois, lu mille fois, les criminels sont condamnés leur vie durant à lire leur peine dans le regard des autres, la plupart ne résistent pas et s’enfuient, préférant l’exil au blâme perpétuel. la bibliothèque accomplit simultanément l’infamia et la damnatio. de ces deux peines irréparables les hommes se demandent laquelle est la plus sévère, celle qui interdit l’oubli ou celle qui l’ordonne.
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la bibliothèque est silencieuse et le bruit est dans ses pages

Paragraphe 58.
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des blessures amères et des miracles dangereux nous attendent en certains ouvrages. […] il existe des livres plus inquiétants encore. quand tu saisis l'un d'eux tu es toi-même. quand tu le reposes tu es un autre.

Paragraphe 164.
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chacun de nos actes élimine des galaxies d’histoires potentielles. chaque seconde de notre avenir résulte d’une combinaison de circonstances qui ne représentait qu’une chance parmi des nombres incalculables un instant auparavant, faisant de chaque événement un accident unique et de l’univers un monstre qui n’aurait jamais dû advenir. c’est du moins ce qu’il nous paraît. mais qu’on procure la durée et tout le possible arrive, l’invraisemblable devient certain et nous habitons alors une autre sorte de monde composé d’univers dont les vaines répétitions nous condamnent à être les perpétuelles victimes d’une plaisanterie cosmique. dans quel monde probable ou improbable vivons-nous ? il est sûr que la bibliothèque possède la réponse. il faudrait un quart ou même un tiers d’éternité pour la découvrir. aurons-nous le temps. et comment saurons-nous la reconnaître au milieu de toutes les réponses possibles

Paragraphe 82.
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