AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Zebra


« Fear and Loathing in Las Vegas » a été écrit par Hunter S. Thompson en 1971. Publié en 1972 aux éditions Paladin en Grande-Bretagne, « Fear and Loathing in Las Vegas » est l'histoire d'une virée sauvage au coeur du rêve américain. Brillamment illustré par Ralph Steadman, dédicacé à Bob Geiger (journaliste américain ayant largement décrit les problèmes de réinsertion des anciens combattants du Vietnam) et à Bob Dylan pour son « Mister Tambourine Man » (une chanson invitant à l'évasion par la drogue), « Fear and Loathing in Las Vegas » a été adapté au cinéma dans un film sorti en 1998, « Las Vegas Parano ». C'est d'ailleurs sous ce titre qu'est connu en France l'ouvrage écrit par Hunter S. Thompson.

L'histoire du livre ? Comme indiqué en 4ème de couverture, « Hunter S. Thompson is driving to Las Vegas with his attorney, the Samoan, to find the dark side of the American dream. Roaring down the desert highway from Los Angeles, they realise there's only one way to go about such a perilous task, getting very, very twisted. Armed with a drug arsenal of stupendous proportions, the duo engage in a manic, surreal tour of the sleaze capital of the world ». Nous sommes dans les années 1970. le lecteur est parachuté dans un casino à Las Vegas, puis dans le désert, dans la poussière, le sable et les cactus, un paysage sans fin et quasi-irréel ; la drogue et la bière faisant leur effet, notre lecteur, comme nos deux héros, se trouve plongé ensuite en pleine hallucination : lézards géants, chauves-souris et autres bestioles traversent son champ de vision. Enfin, en pleine défonce, notre lecteur traverse un cauchemar effrayant et répugnant (d'où le titre du livre), au volant de sa Cadillac blanche décapotable ; tentant de finaliser un reportage sur les 400 miles de Las Vegas - une course de motos aux allures de kermesse populaire - notre lecteur saute de beuverie en beuverie et de prise de drogues en prise de drogues, s'engluant dans un univers désordonné et chaotique dont il ne peut s'évader.

L'intérêt de « Fear and Loathing in Las Vegas » ne réside pas dans la découverte des différentes substances (cannabis, marijuana, LSD, mescaline, amphétamine, éther, adrénochrome, etc.) avalées par nos héros ou par les phases hallucinatoires qu'ils traversent, baignant dans l'alcool (bière, Gold téquila, rhum, cuba libres, Chivas Regal, etc.) qu'ils ingurgitent en grande quantité et à tout bout de champ. le livre se veut une « représentation fidèle d'une époque, d'un endroit et de gens particuliers ». Au-delà de la chronique provocatrice de ce couple de drogués et de l'apologie de leur défonce, le livre est un « flashback » nostalgique et plein de désillusions sur ce que fut le rêve de nombreux hippies américains. Rappelez-vous : dans les années soixante, l'Amérique - en pleine autarcie - est confrontée à de dures réalités, à commencer Nixon et sa guerre du Vietnam, la difficile réinsertion des anciens du Vietnam, la marchandisation croissante des biens et des individus, les excès de la société de consommation, le fric facile et la montée irréversible de la violence. Cette dure réalité s'oppose fortement à l'idée que se faisait chaque Américain selon laquelle toute personne vivant aux États-Unis pouvait, par son travail, son courage et sa détermination, devenir riche, être reconnu et trouver la gloire. Dénonçant ce monde qu'ils exècrent, rejetant les valeurs traditionnelles et le mode de vie légué par leurs parents, les hippies font leur apparition : ils se veulent pacifistes, refusent la guerre et toute forme d'autorité (notamment policière), adoptent des tenues vestimentaires incroyables (voyez les lunettes extravagantes du héros de « Las Vegas Parano »), militent pour une grande liberté sexuelle (jusqu'à essayer de faire dépénaliser le viol ?) et recherchent de nouvelles perceptions sensorielles (n'ont-ils pas absorbé des tranquillisants pour chevaux ?). Mais le mouvement hippie a vécu ! Regardant dans le rétroviseur, ayant mauvaise conscience de son passage comme rebelle dans un univers défoncé qui lui a procuré bien des plaisirs, Hunter S. Thompson, surfant sur une vague moralisatrice et mélancolique, se livre dans « Fear and Loathing in Las Vegas » à une révolte, réelle ou de façade : coincé entre un monde réel - qui envoie le citoyen américain dans le mur et dans lequel l'auteur considère ne plus avoir sa place - et un monde plus attrayant mais imaginaire et qui va disparaître à tout jamais, Hunter S. Thompson déroule pour nous le film cauchemardesque, nauséeux, débraillé, sans queue ni tête, déjanté et outrancier du côté obscur de ce rêve américain. La virée tourne au drame : ce rêve impossible conduira Hunter S. Thompson à se suicider en se tirant une balle dans la tête, à son domicile, au Colorado, en février 2005.

Hunter S. Thompson avait inventé et développé une nouvelle forme de journalisme, le journalisme « gonzo » (en argot irlandais, le « gonzo » est le dernier homme à être encore debout après une nuit entière à boire de l'alcool); cette nouvelle forme de journalisme préférait - en réaction contre la déontologie du journalisme traditionnel – l'enquête ultra-subjective, de 1er jet et lucide : fait de récits à la première personne, de rencontres, de beuveries et de prises de drogues, le produit de ce journalisme de terrain est caractérisé par une plume trempée dans le vitriol, un style surréaliste et un fort engagement politique. Hunter S. Thompson disait d'ailleurs que « le reportage gonzo allie la plume d'un maître-reporter, le talent d'un photographe de renom et les couilles en bronze d'un acteur ».

Avec « Fear and Loathing in Las Vegas », vous disposez d'un exemple frappant de ce journalisme « gonzo ». Jugez plutôt. Les raisons de la virée de nos deux héros ? En page 6 : « We're on our way to Las Vegas to find the American Dream. This is a very ominous assignment-with overtones of extreme personal danger ». Leur démarche ? En page 12 : « The only way to prepare for a trip like this was to dress up like human peacocks and get crazy, the screech off across the desert and cover the story. The only cure is to load up on heinous chemicals and then drive like a bastard from Hollywood to Las Vegas and move out with the music at top volume, and at least a pint of ether ». Pourquoi ne pas couvrir la course de motos en faisant du journalisme ordinaire ? En page 39 : « This idea was absurd : It was like trying to keep track of a swimming meet in an Olympic-sized pool filled with talcum powder instead of water ». du gros délire ? En page 154 : « The guy said: Those tires want 28 in the front and 32 in the rear. Hell, 50's dangerous, but 75 is crazy. They'll explode! I replied: I want to see how they corner with 75. He chuckled. You won't even get to the corner, Mister. We'll see, I said ». Des incidents pendant leur virée ? En page 13, le loueur de voiture leur fait observer: « You just backed over that two foot concrete abutment and you didn't even slow down! Forty-five in reverse! And you barely missed the pump! ». Et que fait la police ? En page 14 : « Cops are good vicious Catholics. Can you imagine what those bastards would do to us if we got busted all drugged-up and drunk in stolen vestments? Jesus, they'd castrate us! ». Les hallucinations de nos deux héros ? En page 24 : « Terrible things were happening all around us. Right next to me a huge reptile was gnawing on a woman's neck, the carpet was a blood-soaked sponge, and lizards were moving around in this muck ». En page 85 : « Jesus, bad waves of paranoia, madness, fear and loathing-intolerable vibrations in this place ». En page 133 : « I couldn't move. Total paralysis now. Every muscle in my body was contracted. I couldn't even move my eyeballs, much less turn my head or talk. I needed artificial respiration, but I couldn't open my mouth to say so. I was going to die ». de la violence ? En page 146 : « What did they do to her? Jesus Christ man. They chopped her goddam head off right there in the parking lot! Then they cut all kinds of holes in her and sucked out the blood! ». Une certaine idée de la femme ? En page 118 : « First you kidnap the girl, then you rape her, and now you want to have her locked up! He shrugged. It just occurred to me that she has no witnesses. Anything she says about us is completely worthless ». de l'engagement politique ? En page 74 : « Muhammad Ali had been sentenced to five years in prison for refusing to kill « lopes ». « I ain't got nothin' against them Viet Congs, he said ».

Arrivé au terme de ma lecture, je suis groggy et un rien songeur. Sous une apparence amusante, déboutonnée, folle, obscène et corrosive, « Fear and Loathing in Las Vegas » est probablement un témoignage psychédélique, engagé et désespéré sur ce que fut l'expérience de gens qui croyaient au rêve Américain. Et Hunter S. Thompson était de ceux-là ! A lire, à moins que vous ne supportiez pas la vulgarité, l'alcool, les drogues et les excès de toutes sortes …
Commenter  J’apprécie          253



Ont apprécié cette critique (22)voir plus




{* *}