AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de opoto


opoto
08 novembre 2010
L'avantage avec un livre de poche c'est que l'on peut le trimbaler par tout. Et cela tombe plutôt bien tant lorsque l'on commence rhum express on a qu'une envie : aller à tout prix jusqu'à la dernière goûte. Commencé au petit dej. et posé sur l'étagère du devoir accompli tard dans la soirée. Entre temps la lecture se fait à l'arrêt de bus, dans le bus, puis dans la rue jusqu'au bureau en évitant soigneusement les réverbères et autres panneaux indicateurs, véritables écueils pour les lecteurs inassouvi, la tête penchée dans la barrique. Une main étant occupée à tenir la livre, la pose du midi se résume à un casse-croute/café dans une salle de bar pleine de bruit à l'heure du coup de feu.
Apéro du soir oblige, devant la cheminée, on hume les mots d'Hunter S. Thompson, on déguste en rythme, on sirote à la santé du désespoir.
Bon, l'histoire est assez simple : " Dans les années cinquante, Paul Kemp, jeune journaliste globe-trotteur, buveur de rhum confirmé et alter ego de l'auteur, quitte Greenwich Village pour Porto Rico où il a décroché un boulot de reporter au San Juan Daily News".
Son monde tourne autour du journal. Un fortin peuplé de ratés, d'ambitieux, de parias, que seul le rhum réuni.
C'est une cuite de 300 pages qui attend le lecteur avec au final une mémorable gueule de bois : "j'ai surpris mon visage dans une glace : j'avais l'air sale et miteux. Un vagabond hâve aux yeux rouges." (p. 26)
Tous les protagonistes, du chauffeur de taxi au bisenèsemane, du flic au pilote d'avion, du tenancier d'estaminet au patron d'hôtel, sont dépeints sans complaisance. Personne ne trouve grâce aux yeux de l'auteur. Pas même les touristes en goguette : "Pas une jeune dans le lot. Toutes étaient vêtues de robes cocktail sans manches qui les collaient comme des sacs poubelles."(p. 30)
Entre Yeamon, viré du journal, qui chasse le poulet au harpon, Sala persécute par les enfants : "Ces petits cons trouvent que ma bagnole ressemble à un cafard [...]. Je devrais en écraser quelques-uns." (p. 75) et l'énigmatique Sanderson, affairiste sans scrupules, Kemp n'est pas loin du désespoir : "C'était peut-être qu'au cours de l'embuscade que le temps m'avait tendue, cette idée d'être un champion, fidèle monture sur laquelle je cavalais, avait reçu une balle perdue."(p. 49)
Dans une île asservie, laboratoire du capitalisme (aujourd'hui, on dirait libéralisme) américain et de sa croisade anti-communiste, Kemp évolue entre bitures mémorables et baises pathétiques.
Kemp a cependant le rhum lucide : " Voilà, j'étais payé 25 dollars par jour pour bousiller le seul lieu au monde où j'avais éprouvé une certaine pais intérieure en l'espace de 10 ans. [...] Et si j'étais là, c'était uniquement parce que je m'étais soûlé, fait arrêter et que j'étais devenu ainsi un pion dans une partie débile qui me dépassait." (p. 217)
La paradisiaque triade rhum, sex & sun vire aux cuites permanentes, aux fêtes délirantes à la sexualité brutale : "On arrête pas de se bourrer et on enchaîne catastrophe sur catastrophe, de pire en pire.(p. 271). Une perdition, véritable fuite en avant tel que celle que l'on retrouve dans le roman Cinq matins de trop où l'australien Kenneth Cook nous fait vivre le cauchemar éveillé d'un jeune instituteur, qui devient peu à peu accro à l'alcool, au jeu, au sexe, à la violence, jusqu'à l'autodestruction.
Rhum express aurait pu être un livre culte, le roman d'une jeunesse désabusée, s'il avait trouvé un éditeur (courageux) dans les années 50. Au delà des personnages il montre une société qui se cherche dans un monde en évolution accélérée, des protagonistes avides de sensations fortes. Dix en plus tard Hunter S. Thompson aurait situé l'action sur l'île de White, Ten Years After ou Janis Joplin aurait remplacé les rythmes caribéens, le cannabis le rhum ; mais Chenault se serait aussi débarrassée de sa culotte de soie.
Chenault.
C'est par elle que commence le livre et qu'il se fini.
Elle traverse le roman, entre pulsions et mauvais trips, et le coeur de Kemp.
Du "joli petit corps, tendu par une impatience qui trahissait une masse d'énergie refoulée" (p.22) jusqu'à son départ : " On est deux âmes soeurs. On boira encore du rhum ensemble, on dansera tout nus. Viens me voir à New York. J'aurais deux ou trois surprises pour toi." (p. 313).
Une fois le livre terminé il reste encore quelques rasades au fond du bouteillon : chose rare on se prend à replonger avec délice et gourmandise dans des passages hallucinés ! Comme cela, juste pour prolonger le plaisir et ... l'ivresse.
Lien : http://opoto.org/blog/wordpr..
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}