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Critique de Tandarica


Un recueil assez déconcertant au premier abord par ses images d'une grande originalité, en noir et blanc, qui provoquent néanmoins un arc-en-ciel (aux « teintures trébuchantes », p. 21 et au doux « murmure chromatique », p. 48) de sensations poétiques. Un poème par page et dépourvu de titre comme pour mieux inciter à l'interprétation voulue multiple.

Le corps est magnifiquement érotisé avec simplicité et grâce comme dans la métaphore « l'orage de ta crinière » (p. 11).

Le noir fait face à la blancheur de la page ou de la peau (qui n'a probablement pas assez vu le soleil bienfaisant) et surface (« Le noir fictif te donne/ un message, p. 8) quasiment à chaque poème. Il est souvent associé à la nuit, au mythe de la salamandre, parfois à l'ébène. Mais aussi « délavé dilué détrempé » (p. 32), ou bien « en transe » (p. 37), quand il n'est pas « solitaire » (p. 45), ou « de sureau » (p. 48). Il fait même patienter la lumière (p. 51) : « Sur les pas de ton jardin (qu'on devine secret)/ dévergondées– les herbes (pas nécessairement mauvaises)/ poussent le blanc à refleurir/ et à profaner/ le noir souverain de la nuit » (p. 10).

L'omniprésence discrète et délicate dans son tumulte de l'eau : elle est « prisonnière » comme dans le titre ou bien « au-dessus de cette écluse immobile » (p. 13). Quand il est en fin question de libération, l'eau devient multiple (p. 53) : « les eaux/ ont épuisé l'absolu du verbe » (p. 55) car elles sont, bien entendu, « fortes » !

La langue, protéiforme, qui hante est parfaitement personnifiée dès la dédicace : « À mes langes, à leur chair de souffle ». le « mot » est « en chair de souffle » (p. 43). En effet, Liminitza C. Tigirlas est trilingue. Comme indiqué dans la quatrième de couverture, « d'origine roumaine, née en Moldova orientale, [elle] est une survivante de l'assimilation linguistique dans l'URSS ». Lumineux duo de vers que voici : « L'enfance t'entortille/ dans des coquilles à mots » (p. 36)

Très beau traitement sous-jacent de l'exil, dans « les langues éteintes » (p. 24), dans « l'idiome obscur » (p. 22) avec ce « Je férocement opposé/ au Nous totalitaire » (p. 39), avec l'utilisation du mot « apatride », car la poétesse entend crier, vers la fin du recueil «– Tu n'es pas d'ici ! », et « Tu confie soif et lévitation/à une ancolie /si étrangère aux allégresses » (p. 26). le « Je » reprend le dessus, dans la voix de la poussière et « jacte » « Ne m'assimilez pas à la mort ! », car « la chair exilée/ de l'oubli ouvert en éventail » (p.59) n'est plus que sous la croupe du ciel anthracite.

Des références à quelques artistes précurseurs « entrés [eux aussi] dans le mot sur la pointe » (p. 43) pour faire usage de cette même « encre rouge » qu'est le « sang » : Ovide et la mer Noire (« dénoircie », sic, p. 28), Guillaume Apollinaire et ses « âpres alcools/ en transappollinaire » (p. 31) ou bien Soulages avec… son NOIR (sic !, pp. 56-57), sans oublier Paul Valéry et sa « Jeune Parque » (p. 69).

Enfin, je relève un clin d'oeil à une superstition populaire bien connue de moi : « Tu retrouves/ un noeud au mouchoir:/ ourdissait-il contre l'oubli ? » (p. 27)

Laissez-vous aussi emportés par ce « vent/oublieur d'essorer les nuages » (p. 53) ! Ne sommes-nous pas sauvés par cette « eau taillée [qui] se lie à la prairie » (p. 71) de la nuit et de la noirceur pesantes ? C'est en tout cas ce que croit la poétesse qui a, paradoxalement, foi en ces mots (p. 63) en péril de se faire exécutés « à bout portant par le non-écrit ». On ne parle plus de « non-dit » devenu lettre morte dans les langues de l'exil.

Cette lecture m'a également fait connaître l'artiste Doïna Vieru, la fille de la dédicace à qui est également dédié le poème de la page 20.
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