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Critique de EtienneBernardLivres


C'est l'histoire simple d'un médecin de campagne, « l'oncle Benjamin », au 18ème siècle. Benjamin est un rustre bon vivant : sensible, caractériel, bienfaisant, mais aussi philosophe et d'une inaltérable gaieté. Digne descendant de Rabelais, il est toujours assis à table dans des banquets champêtres mais prêt toujours aussi à se lever pour aller au chevet d'un pauvre malade.

Tout cet état d'esprit nous est présenté au premier chapitre après une introduction philosophique par une festivité où la cacophonie règne avec l'ivresse « Bientôt la conversation ne fut plus qu'un cliquetis d'épigrammes, de gros mots, de saillies éclatant ensemble et cherchant à s'étouffer l'une l'autre, tout cela faisait un bruit semblable à une douzaine de verres qui s'entrechoquent à la fois »
Un duel semble improvisé par pure bouffonnerie et le bon plaisir du spectacle après une incompréhensible altercation… L'oncle Benjamin se blesse et, tout honteux en face de sa soeur qui le sermonne, promet de s'assagir : trouver une épouse, payer ses dettes…
L'Objectif accepté, l'oncle Benjamin, qui devait demander la main de Mlle Minxit, préférera bien plus tisser des liens et fraterniser avec son épicurien de père.

Cette intrigue toute simple est frappée de 1000 sinuosités ; c'est que l'oncle Benjamin se disperse sans cesse.
L'expérience militaire d'un vieux sergent bavard lui est contée sur la route ; il n'a pas pu être nommé officier durant sa carrière à défaut de sang noble alors même que son courage et son mérite était reconnu par tous. Il n'en fallait pas plus pour déclencher une longue tirade politique enflammée qui n'a pas le style ennuyeux d'une timide dissertation :
« La noblesse est la plus absurde de toutes les choses ; c'est une révolte flagrante du despotisme contre le Créateur » (…)
« Dieu a-t-il fait plus hautes les unes que les autres les herbes de la prairie, et a-t-il gravé des écussons sur l'aile des oiseaux ou sur le pelage des bêtes fauves ? » (…)
« Qu'est-ce que cette grandeur qui se transmet de père en fils, comme une bougie neuve qu'on allume à une bouge qui s'éteint ? Les champignons qui naissent sur les débris d'un chêne mort sont-ils des chênes ? » (…)

Un taureau rétorque à cette vibrante éloquence et lui fonce droit dessus… Puis vient l'heure du déjeuner où manger est encore une cause de divagation. Une omelette est si vite engloutie quand il a fallut tant de temps pour la produire : « voyez comme la décomposition plus vite que la recomposition ; l'homme est un enfant gourmand qui fait maigrir sa nourrice ; le boeuf ne rend pas à la prairie toute l'herbe qu'il lui a prise » (…) et ainsi de suite par une originale série de métaphores poétiques et parfois enfantines.

Tout le roman est chaotiquement composé de la sorte : une foule d'anecdotes secondaires totalement imprévisibles et aléatoires desquelles sortent quelques lueurs de réflexions entre deux beuveries d'un banquet.

Gare à celui qui atteint ou blesse l'estime de l'oncle Benjamin ! La colère est doublée de sa constante amertume à l'égard de la noblesse. On lira alors avec plaisir une historiette par laquelle un noble du pays a infligé au pauvre médecin qui ne voulait pas le saluer le premier, un châtiment singulier. Une armée de domestiques saisit Benjamin qui, l'épée sur la gorge, est obligé d'embrasser le marquis, à titre d'humiliation.
Attendant patiemment une belle occasion, il fera mieux qu'une sévère et violente vengeance.
Une arête qui s'est coincée dans la gorge du noble fournit au médecin le moyen de lui appliquer la peine du talion. Au moment d'effectuer cette petite opération, chantage oblige, il force le noble à l'embrasser en contrepartie de son service.

Courageux ou inconscient, pétri d'audace, Benjamin privilégiera toujours une franche humiliation qui déshonore à la violence.
Jamais il ne s'abaisserait ou s'aplatirait devant quiconque, peu importe les circonstances « Le peuple a quelquefois des lubies de courage, il jette le feu par la bouche et les naseaux ; mais la servitude est son état normal et il y revient toujours, comme un serin apprivoisé revient toujours à sa cage » il y a quelques ressemblances dans la puissance que met l'auteur à cette idée et le discours de la servitude volontaire de la Boétie.
« La morale de ceci, c'est qu'avec les grands il vaut mieux se faire craindre que de se faire aimer… Que Dieu me damne si de ma vie je manque à ce principe. »

D'autres sujets sont abordés et il faudrait un commentaire par thème : la religion, la justice, la fortune… Toujours avec le même humour, ce côté gaillard divertissant et des phrases qui partent et sifflent comme des pierres aiguisées.
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