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Critique de JustAWord


Outre les nouvelles voix de l'imaginaire, la collection Une Heure-Lumière a aussi la volonté de remettre en avant des textes patrimoniaux.
Après La Chose de John W. Campbell, voici donc l'arrivée d'une grande autrice américaine : James Tiptree Jr (alias Alice Sheldon).
Avec Houston, Houston, me recevez-vous ?, novella de 97 pages récompensée par Nebula et Hugo, nous voici plongés dans un imbroglio temporel aux côtés d'une équipe d'astronautes américains qui ne s'attendaient certainement pas à faire un tel voyage…

Ils sont trois : Norman Davis, Orren Lorimer et Bernhard Geirr.
Trois astronautes américains embarqués pour une expédition autour du Soleil. Après une éruption solaire particulièrement intense, Houston ne répond plus et le Sunbird se retrouve seul au milieu du vide spatial.
Plus étrange encore, voici qu'une transmission d'un autre engin est capté par l'équipage. le Gloria serait même en capacité de les récupérer et de les ramener sur Terre.
Le problème ? C'est qu'il n'existe aucun appareil de ce nom… et que la Terre ne se trouve pas à la place où elle devrait être à cette période de l'année.
James Tiptree Jr imagine une histoire à première vue très simple.
Une expédition spatiale se retrouve projetée plusieurs centaines d'années dans le futur et découvre ce qu'il est advenu de la race humaine.
Un postulat vu et revu qui semble même un peu cliché.
Mais ne vous y trompez pas, l'objectif ici n'est pas tant d'imaginer ce qu'est devenue l'humanité que d'utiliser cet angle narratif pour une analyse féministe de la société humaine dans laquelle évolue Tiptree Jr.
En effet, on apprend assez vite que les hommes n'existent plus et que la Terre et ses conquêtes spatiales sont devenues des territoires uniquement féminins.
Nous sommes en réalité dans une utopie féministe imaginée par une autrice américaine des années 70… et qui refuse de vieillir !

En prenant contact avec le Gloria et son équipage, les trois astronautes américains vont découvrir l'ampleur de leur solitude mais aussi les changements radicaux qui ont eu lieu dans l'intervalle.
De façon complètement remarquable, en allant au bout des choses et en illustrant parfaitement son propos par trois archétypes masculins différents, James Tiptree Jr offre au lecteur une critique sans concession de la société patriarcale qui, si elle résonne comme avant-gardiste à la date d'écriture, semble encore et toujours d'actualité.
Chaque personnage porte en lui une misogynie plus ou moins assumée.
L'idée centrale de domination masculine, avec toute la violence qui lui est rattachée, se confond à la fois avec les stéréotypes mais aussi avec des notions qui tentent de cacher cette misogynie primordiale, à savoir la religion et la science. La femme est inférieure à l'homme et a besoin de ce dernier pour que le monde poursuive sa course vers l'avant. Voilà, au fond, ce que pense chacun des trois hommes de cette histoire, y compris notre narrateur, pourtant mâle « bêta » de son propre aveu et qui a dû endurer également moults brimades des « alpha » par le passé.
S'y rattache une culture de l'excuse, où l'homme est forcément bon au fond, il faut juste lui donner une chance, il faut juste le comprendre.
James Tiptree Jr est radicale, et elle l'assume. Ce qui donne d'autant plus de force à son récit. On pourrait arguer justement que cette description très manichéenne de la question féminine mériterait une nuance plus élémentaire comme a pu le faire Élisabeth Vonarburg dans Chroniques du Pays des Mères ou Sarah Hall dans Soeurs dans la guerre.
Mais ici, ce serait amoindrir le propos de fond qui tente de réfléchir sur les mécanismes de domination et d'emprise de l'homme sur la femme.
En résulte un texte violent mais qui fait profondément réfléchir.
Plus intéressant encore, James Tiptree Jr entrevoit d'autres problèmes sociaux et politiques plus larges qu'elle effleure mais qui semble cependant extrêmement intéressants. La surpopulation « réglée » par une épidémie et qui aboutit ainsi à un monde bien plus sain et paisible, le refus d'exercer le pouvoir comme un métier à part entière et donc ce filigrane qui veut que le pouvoir exerce une forme de corruption sur l'être humain.
La conclusion de cette novella, aussi impressionnante que glaçante, résonne toujours puissamment dans notre ère moderne, comme si James Tiptree Jr, ou devrait-on plutôt dire Alice Sheldon, avait réussi elle-même à voyager à travers le temps.

Histoire radicale et puissante, Houston, Houston, me recevez-vous ? est une réflexion au vitriol à l'encontre de l'homme et de sa violence. James Tiptree Jr n'est pas là pour ménager son lecteur et ça tombe bien puisque c'est cela au fond la vraie et grande science-fiction, celle qui secoue et retourne son lecteur sans lui demander son avis.
Lien : https://justaword.fr/houston..
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