Lorsque l'on referme le
Lolita de
Nabokov, l'oeuvre qui a bouleversé la morale lors de sa première parution, on ne voit souvent les choses que par le biais de Humbert Humbert, cet homme monstrueux, charismatique, cultivé, tyrannique. La façon qu'il a de se dédouaner et de jouer avec les mots m'a presque fait oublier
Lolita, sa victime, et ce qu'elle pouvait ressentir, parce qu'elle n'a jamais eu le droit à la parole.
Christophe Tison lève le voile pudique et aberrant qui a été jeté sur cette nymphette. Et la voilà qui monologue, emportée par les vagues destructrices de son destin. Elle rentre à la fois dans un rôle de victime et de vengeresse : elle le dit elle-même, elle est "deux", deux facettes de sa personnalités qui s'expriment plus ou moins fortement. Cette
Lolita, j'ai eu envie de la serrer dans mes bras, parce qu'elle semble si vraie dans son adolescence bafouée. Ses paroles sont celles d'une victime qui trouve de la force dans sa résilience, alors que les traumatismes s'enchaînent. On les croise tous, les grands pervers, Humbert et Clare Quilty., et également d'autres hommes, qui n'ont pas su la protéger, des ombres qui ne savent pas comment comprendre ce jeune caractère tempétueux.
En lisant ce roman, j'ai beaucoup pensé à l'adaptation de Kubrick. Certaines images sont clairement inspirées du film et j'ai apprécié ce parallèle. Dolores est à la fois le personnage de
Nabokov, de Kubrick et de Tison : elle y gagne une véritable puissance (alors que son discours repose souvent sur le fait qu'elle n'est plus qu'une ombre).
Étrangement, le
Journal de L. m'a mise beaucoup plus à mal à l'aise que
Lolita ; les cartes sont distribuées différemment et le point de vue change. L'empathie que j'ai ressentie devant la dureté des événements qu traverse
Lolita, son désespoir, a été bouleversante. C'est qu'à force de voir Humbert Humbert clamer son innocence et son amour, j'avais presque oublié qu'il était, avant tout, un être vile. C'est donc une bonne lecture, à feuilleter en parallèle de l'oeuvre de
Nabokov, même si elle existe également par elle-même, indépendamment de son illustre ancêtre littéraire.
(Merci aux éditions Goutte d'Or pour cette lecture)