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Critique de beatriceferon


Le 24 février 1884, le bagne d'enfants ferme ses portes. Les garçons qui y croupissaient sont emmenés ailleurs. Où ? Peu importe, cela « ne peut pas être pire que [l'endroit] qu'ils quittent ». le gamin jette un dernier regard en arrière, vers ces tortionnaires qui les ont brimés, brisés. Il y a la cantinière, qui leur servait « une soupe si claire qu'ils avaient parfois l'impression de boire de l'eau ». La lingère, qui le faisait pénétrer dans le lavoir jusqu'à mi-corps, ce qui « engourdissait ses pieds, ses jambes, son ventre et puis ses mains et ses bras ». Ce gardien les forçait à épierrer les champs, cet autre les battait et celui-là choisissait chaque soir une cellule pour en violer l'occupant.
La gamin ne veut rien emporter de cet endroit, pas même quelques grains de terre. « Il se prend à espérer que jamais la bâtisse ne s'effondrera. Car il sait que tant qu'elle sera debout, ses murs épais garderont la mémoire de ce qu'ils ont vu et entendu. Tant qu'elle tiendra bon, les gens d'ici se souviendront. Et jamais ils ne pourront passer à autre chose. »
Dix-sept ans plus tard, son souhait semble se réaliser. Une épidémie de malheurs frappe le village coupable.
Le roman s'ouvre sur un prologue de quelques pages. Il narre froidement la fermeture de cet enfer où ont été cloîtrés de très jeunes garçons. Et arrivé à la dernière page, on aura intérêt à le relire, car alors, on saura ce qui est arrivé au P'tiot. On pourra mettre des noms sur les tortionnaires, sur cette petite fille, la seule qui semble dotée d'un peu d'humanité.
L'histoire démarre en 1901, dans un village rude, inhospitalier. Les habitants sont durs, cruels, capables de tout. Ils se sentent maudits car tous coupables, soit parce qu'ils ont travaillé dans le bagne damné, soit parce que, sachant ce qui s'y passait, ils n'ont pas levé le petit doigt pour en dénoncer les horreurs.
Les catastrophes s'abattent sur eux comme les dix plaies sur l'Égypte. Nombre de scènes sont insoutenables, à commencer par la première qui détaille avec une minutie morbide l'agonie de la jument couverte d'abcès.
Aucun des villageois n'est attachant, ou même, simplement humain (sauf, peut-être,les trois jeunes, et encore). Leur coeur paraît aussi sec et caillouteux que leur terre.
Chaque chapitre s'ouvre sur un extrait du registre tenu par le bagne. Dans un style administratif et glacé, il livre des éléments qui serrent le coeur : nom du condamné, motif de l'incarcération et se termine invariablement par « cause de la sortie : Décès ». Ce qui terrifie, c'est l'âge des enfants. La plupart ont entre dix et treize ans. Détail poignant : leur taille. Ils sont tellement petits ! Motif de la condamnation ? Pour la plupart, soit « attentat à la pudeur », on se demande ce que de si jeunes contrevenants ont bien pu faire, soit « vol », causé sans nul doute par leur extrême pauvreté, car ce n'est ni or ni bijoux qu'ils ont dérobé, je suppose, mais, à l'instar de Jean Valjean, du pain ou quelque légume dans un champ.
Jamais le lecteur n'est épargné : pour un oui ou un non, les enfants sont battus comme plâtre, une fillette est violée sans relâche par son oncle. Personne pour lui venir en aide. La seule à laquelle elle pouvait confier son désarroi était la jument qu'impuissante, elle voit mourir dans de terribles souffrances.
Jeanne a l'air moins dure. Très croyante, elle va souvent à l'église. Hélas, lorsqu'on surprend quelques bribes de sa confession, on se rend compte qu'elle n'a rien à envier aux autres bourreaux. Alors, le médecin ? Pourquoi s'est-il retiré dans cette campagne hostile et inhospitalière ? Il cache un lourd secret pas très reluisant. Il sait qu'il ne peut rien pour ses patients et se noie dans l'alcool.
Le curé, alors ? Lui, un homme de Dieu, doit être bon et charitable. Or, son discours fait froid dans le dos. Pour lui, les souffrances physiques et psychologiques des petits bagnards servent à leur rédemption. « Advienne que pourra, pourvu que leurs âmes soient sauvées. » Et les coupables de toutes ces atrocités ? « ils feront leur examen de conscience face au Tout-Puissant le jour venu, et s'ils font vraiment acte de contrition et de repentance, ils seront sauvés. »
Pas une page pour souffler. Tout est noir, dur, violent.
Impossible de taxer l'auteur d'imagination malsaine. En lisant les remerciements, on se rend compte qu'il a puisé son inspiration dans la triste réalité.
Donc, un livre fort, bien écrit et instructif. Car, comment concevoir que de telles atrocités ne remontent qu'à quelques années et non au Moyen âge ? Ce n'est pas le genre de lecture qu'on fait pour son plaisir ou pour se détendre. Jamais, même à la fin, ne brillera la moindre étincelle d'espoir.
J'ai reçu cet ouvrage lors d'une opération Masse critique privilégiée. Il me semble que le livre n'est pas encore paru et, sur sa couverture blanche, s'étale une mention « épreuve non corrigée ». J'aimerais bien que d'autres livres, dûment passés par les correcteurs, eux, soient d'aussi bonne tenue. Car, si j'ai relevé quelques fautes, elles n'étaient pas nombreuses, contrairement à beaucoup d'autres lectures qui me font souvent grincer des dents !
Je remercie donc chaleureusement Babelio de me l'avoir proposé et Albin Michel de me l'avoir envoyé.
Je le recommanderais à ceux qui cherchent des faits vrais, bruts et non édulcorés, qui mettent en scène un univers dont on espère qu'il va s'améliorer (mais, hélas, je n'en suis pas si sûre...)
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