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Critique de Bequelune


A l'aide de ses outils habituels – les types de famille et une flopée de statistiques démographiques – Emmanuel Todd s'attaque au féminisme et à l'évolution du statut des femmes. Ou plus exactement : il tente de comprendre l'émergence de qu'il appelle un « féminisme antagoniste » entre les sexes dans un Occident relativement égalitaire, au moment même où les données concrètes sur l'égalité femmes hommes n'ont jamais été aussi bonnes. C'est donc à la fois pour répondre à la question « Où en sont elles », qui donne son titre au livre, que pour analyser ces évolutions que Todd se met à farfouiller les statistiques. Il va user de nombreux détours, comparer des sociétés très diverses dans le temps et l'histoire, et élargir son analyse à la question des LGBT+.

Todd n'est pas un novice en étude sur la situation des femmes. Puisque tout son travail (conséquent, le chercheur est âgé et reconnu) questionne les types de famille et la démographie, le statut des femmes est au coeur de toute son analyse depuis 45 ans . Pourtant, il n'avait jamais dédié de livre spécifiquement à cette question. C'est désormais chose faite avec cet ouvrage souvent confus, qui alterne entre analyses scientifiques à base de statistiques et hypothèses osées qui peuvent être lumineuses comme désespérantes.

Les premiers chapitres, à mes yeux bien trop longs, sont une attaque en règle contre deux concepts à la mode dans les milieux militants LGBT+ et féministes : le patriarcat et le genre. Si je comprends facilement son agacement face à la dénaturation complète du concept de patriarcat (qui est à la base un concept des anthropologues), au point de rendre ce mot inopérant car trop large et jamais vraiment défini, je suis plus sceptique sur le mot genre. Todd fait comme si la seule définition du genre était celle, très récente, posée par les mouvements trans, et que la socio-anthropo n'avait pas une longue réflexion de près d'un siècle sur les rôles sociaux attribués à chaque sexe. Il valide par contre le principe de l'intersectionalité (avouant même que cette approche méthodologique a renouvelé ses recherches). Ici il fait donc l'inverse d'avec le mot genre : il ne retient que la définition sociologique et ne critique pas l'usage militant, parfois à mille lieux du sens originel du mot. Tout ce chapitre manque vraiment de rigueur.

Globalement, j'ai trouvé le plan du livre très confus. J'ai du mal à dégager un fil conducteur à l'ensemble. D'ailleurs, le livre ne propose pas de vraies conclusions. Il s'agit plutôt d'un mélange de réflexions sur la question des femmes, parfois brillantes, parfois désespérantes. Comme souvent avec les livres de Todd, le plus intéressant est l'énorme travail de collectes de données. Si les livres féministes fleurissent ces dernières années, ce sont souvent des essais, pas des travaux de recherche. Celui-ci a le mérite de proposer un grand nombre de données factuelles à partir duquel on peut réfléchir, au lieu de simplement se baser sur des points de vue.

Ensuite, il y a l'interprétation que Todd en fait. C'est souvent osé – mais c'est aussi pour ça que j'avais envie de lire le bouquin ; Todd est un chercheur atypique qui n'a pas peur de se lancer dans de la prospective. Il a souvent touché juste. Il a aussi pu dire de belles conneries. J'ai eu envie de l'étrangler quand il considère que les classes populaires sont par essence coopératives du point de vue des relations entre les sexes, et que « me too » serait donc destructeur pour elles. Je lui rappelle que les stats montrent dans ces mêmes classes sociales une prédominance des violences conjugales, et qu'un changement de comportement laisserait moins de femmes sur le carreau…

D'autres fois, c'est très stimulant. Son analyse du mouvement trans, mouvement paradoxal puisque quantitativement insignifiant (très peu de personnes concernées) mais idéologiquement central (on en parle tout le temps, en bien ou en mal), est assez originale et repense la question d'une façon neuve. C'est une partie du livre très prospective, mais le long détour par des comparaisons avec d'autres phénomènes « trans » comme les berdaches amérindiens est très intéressant.

Sur la partie statistiques, un des points central qu'il montre, c'est ce qu'il appelle la « matridominance » de nos sociétés occidentales, c'est-à-dire le fait que les professions qui construisent la culture et l'éducation – « l'idéologie » dominante, en quelque sorte – sont depuis les années 1990 majoritairement féminines, y compris aux postes de pouvoir. Cette matridominance idéologique s'oppose à une domination économique des hommes puisque les le privé et les postes les plus hauts placés de l'Etat restent des bastions masculins. Cette analyse globale masque surtout une répartition sexuée des métiers très fortes qui reprend assez fortement la répartition classique du travail selon le sexe qu'on trouve dans tous les peuples traditionnels du monde : aux femmes le soin et la cueillette, aux hommes la production.

Pour résumé, je dirais que ce livre gagnerai à être réécrit avec un vrai plan et un fil conducteur qui guide la pensée. Trop souvent, Todd s'égare dans des détours et manque de rigueur dans ses analyses. Pourtant, l'ensemble reste instructif, stimulant et parfois même brillant grâce à l'audace des analyses de l'auteur. Cela n'empêche pas quelques déchets et provocations dont on se serait volontiers passées tant elles semblent peu pertinentes.
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