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Critique de elea2020


C'est un coup de coeur que cette lecture, sur laquelle je suis étonnée de ne pas m'être penchée plus tôt. Dans une Préface d'une vingtaine de pages, son fils Christopher, à qui l'on doit cet énorme travail d'édition qui a permis la publication de plusieurs ouvrages, autrement restés à l'état de notes et de fragments plus ou moins développés, explique les circonstances ayant entouré le travail de Tolkien sur ce projet. Il avait notamment commencé à travailler sur la Chute de Gondolin, évoquée dans le premier conte, en 1917, dans une tranchée. Les deux contes ont une proximité, en ce sens qu'ils nous relatent les faits survenus à deux cousins, Tuor fils de Huor et Túrin fils de Húrin. Les deux pères descendaient des premiers Hommes du Nord, ceux qu'on appelle les Edain, race dont découlera bien plus tard Aragorn. Huor et Húrin sont morts tous deux lors de la bataille de Nirnaeth Arnoediad contre l'ancien Dieu renégat Morgoth, un des Valar. le destin des deux fils sera très différent, et les deux ne se connaissent pas, mais Tuor croisera Túrin sans savoir qui il est. Les deux contes nous présentent la lutte des Hommes contre Morgoth, et leur alliance parfois difficile avec les Elfes, qui commencent à davantage se retrancher, réticents à mettre leur peuple en danger.

De Tuor et de sa venue à Gondolin :
Tuor a été élevé depuis tout jeune par les Elfes, et s'est totalement rallié à leur cause. Il ne connaît qu'un rêve : celui d'arriver un jour à la forteresse de Turgon, la Ville Cachée dont nul ne peut trouver le passage sans y être amené – Gondolin, la ville aux sept portes. Or, il se trouve que son père avait lui-même séjourné auprès de Turgon, qui lui faisait confiance. Après de nombreuses épreuves, Tuor, séparé des Elfes, est réduit en esclavage puis, parvenu à s'échapper, vit seul à l'état presque sauvage. Il parvient à l'ancienne forteresse abandonnée de Turgon, y trouve une armure et des armes laissées pour lui, et rencontre le Dieu des eaux, Ulmo, qui le charge de trouver Turgon à Gondolin pour lui porter un message d'avertissement. Pour cette quête, son guide sera un Elfe marin, Voronwë, qui reconnaît immédiatement la marque du dieu. C'est ainsi qu'ils se mettent en route tous deux pour Gondolin…

Ce Conte nous fait entrer de plain-pied dans les traditions elfiques et leur mythologie, leur religion, les dieux Valar à Valinor, la Terre de l'Ouest finalement disparue, d'accès interdit. La quête nostalgique de Tuor est hautement liée à la splendeur des Elfes, à leur culture, à l'immense valeur de leur amitié. Nous sommes encore dans un monde où, si la menace de Morgoth se fait sentir, si les Orcs patrouillent sur les routes, à tel point que Tuor et Voronwë doivent se dissimuler sous le manteau magique d'Ulmo pour passer une rivière, Elfes et Hommes peuvent encore combattre côte à côte et réaliser de grandes choses, se faire mutuellement confiance. C'est un conte d'une grande subtilité poétique, au vocabulaire doucement archaïque, qui confère une note fière, grandiose, au récit.

La Geste des enfants de Húrin :
Ce conte m'a soufflée et m'a vraiment projetée en Terre du Milieu. Il est d'une teneur plus sombre, voire désespérée, car le destin de Túrin est véritablement tragique, émaillé de disparitions, et surtout marqué par l'Ombre de Morgoth. Nous découvrons notre héros à l'âge d'enfant, élevé par un père peu présent, mais image vivante d'honneur et de bravoure, et par une mère fière et courageuse, dont il hérite malheureusement le caractère orgueilleux, emporté, qui lui fait souvent méjuger les situations et lui vaudra les reproches des Elfes. Lui aussi est élevé dans une forteresse recluse, une maison elfe, celle de Doriath, où règnent le roi Thingol et la reine Melian. Cependant, il est marqué par son enfance dans le Nord et sa mère lui manque, ainsi que sa petite soeur, née après son départ. Une injustice le chasse des terres de Thingol, banni, et il devra vivre avec une bande de hors-la-loi, tout en rongeant son frein et attendant son heure, toujours sombre et ombrageux.
Le personnage de Túrin, développé comme un vrai héros tragique, fait prendre à ses aventures l'allure et le relief d'une épopée. Rien n'y manque : le heaume magique, le refuge sous terre du Nain Mîm, le Dragon Glaurung, l'amour complexe et malheureux, les choix manqués faisant de lui un paria, malgré son aura de combattant à qui rien ne résiste.
Est-ce le travail de Christopher Tolkien qui fait ressortir ce conte comme un joyau, ou les fragments écrits dans la jeunesse de Tolkien et mis en relation avec le Silmarillion y suffisaient-ils ? Ce conte est d'une force et d'une beauté incroyable, et bien des textes « gagneraient » à être aussi réussis achevés - la traduction de Tina Jolas y contribue, en optant pour un style élégant et une hauteur de ton propres à l'épopée. Je comprends que le conte seul ait bénéficié d'une édition de luxe à part entière par la suite.
Je terminerai en conseillant de ne pas manquer de lire le développement donné dans l'appendice sur la période durant laquelle Túrin et ses compagnons résident chez Mîm, c'est un passage plaisant.

Ces deux Contes m'ont d'une part fait acheter la suite, ceux du Deuxième et du Troisième Âge, mais ils m'ont également réorientée vers une relecture de l'oeuvre de Tolkien, comme un retour aux sources, en essayant avec le recul de redécouvrir son projet, sa passion pour les mythologies nordiques et germaniques, jointe à son travail de philologue autant que d'écrivain.
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