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Critique de jongorenard


Je m'intéresse depuis quelque temps à la littérature russe dont j'ai adoré deux ouvrages de Dostoïevski, mais je ne m'étais jamais aventuré chez Tolstoï. Un de mes professeurs de lycée disait que "Guerre et paix" faisait partie de ces monuments difficiles à lire en raison de sa portée et de sa longueur. Conquérir ce sommet était une expérience permettant de savoir si on était un lecteur, voire un homme ! Et même si l'épaisseur de ce volumineux pavé peut décourager ou effrayer, la montagne n'est finalement pas si grande et pour la vaincre « rien ne vaut ces deux soldats qui s'appellent le temps et la patience. »
Alors, j'ai pris mon temps, j'ai continué à lire d'autres livres en parallèle, j'ai fait de longues pauses, j'ai dû lutter pour ne pas me perdre, j'ai adoré certains passages, j'ai peiné dans d'autres, j'ai admiré le génie de l'auteur. le fait est que j'ai trouvé que c'était une bonne lecture même si elle ne m'a pas autant bouleversé que celle de "Crimes et châtiments". La faute probablement au récit mélangeant avec audace, mais aussi lourdeur fiction et essai historique. Vous êtes en train de lire le roman et vous commencez à comprendre qui est chaque personnage. L'histoire avance. Napoléon traverse le Danube. La tension dramatique monte. Et puis, Tolstoï stoppe brusquement la narration avec une digression magistrale sur le thème de l'Histoire (avec un grand H), ou sur le libre arbitre, ou sur les tactiques militaires ou encore sur l'intelligence de Napoléon. Ces digressions, bien qu'intéressantes, perturbent le récit. On perd de vue les personnages pendant des dizaines de pages. Au lieu de se demander ce qui va se passer, on se pose des questions comme « où suis-je ? » ou « combien de temps ai-je dormi ? ».
Oui, Tolstoï est cet invité qui s'est installé chez vous pendant plusieurs mois et dont vous êtes certes ravi de sa visite parce qu'il est intelligent, génial, intéressant et sincère. Mais parfois il devient déroutant avec ses digressions politiques ou militaires. Les personnages principaux perdent de leur dynamique. Ils m'ont souvent étonné par leur bêtise et ne m'ont pas autant impressionné que Rodia ou les frères Karamazov. Pierre est attachant, mais fatigant avec ses sempiternelles crises de conscience. Natacha est pleine de vie et d'espièglerie, mais également le stéréotype de la fille qui effeuille les marguerites : je l'aime, je ne l'aime pas, je l'aime… Loin de moi l'idée de promouvoir des héros parfaits en littérature, mais je trouve que Tolstoï a un peu trop forcé le trait de ses personnages principaux. La volonté de l'auteur de vouloir également les placer absolument au coeur des événements historiques renforce leur aspect équivoque. Et pour en finir avec le désagréable, la fin du roman est décevante et ne récompense guère les efforts fournis.
Heureusement le reste du temps, le récit est excellent, plutôt captivant et très instructif, car vous en apprendrez plus que vous n'avez jamais voulu en savoir sur le grand Napoléon ou sur la vie en Russie au début du XIXe siècle ! Vous tombez soudain sur une scène qui est dessinée de manière si vivante que vous vous en souviendrez pour toujours. Il y a la bataille d'Austerlitz, qui est impeccablement documentée et racontée de manière passionnante. Il y a le prince André, blessé sur le champ de cette bataille, qui regarde au-dessus de lui « un ciel sans fin », réalisant qu'il ne l'a jamais vraiment regardé auparavant. Il y a Pierre, qui réalise qu'il est amoureux de Natacha en regardant les étoiles et en apercevant la comète de 1811. Il y a Napoléon souffrant d'un rhume la veille de Borodino. Sans celui-ci, « ses combinaisons eussent été marquées au sceau du génie pendant la bataille, la Russie eût été perdue, et la face du monde changée ! » Il y a André qui regarde un obus tomber en sifflant à deux pas de lui « comme un oiseau au vol rapide se posant à terre ». Il y a le jeune Pétia qui court à sa perte en poursuivant les Français pendant leur retraite.
Il y a aussi des passages qui montrent que Tolstoï n'est pas seulement prolixe, mais aussi inventif. Par exemple, la scène dans laquelle il décrit les pensées d'un vieux chêne. « Le printemps, l'amour, le bonheur ?… En êtes-vous encore à caresser ces illusions décevantes, semblait dire le vieux chêne. » Ou celle où il raconte un conseil de guerre de l'armée russe du point de vue de Malacha, une petite paysanne qui parle de Koutouzov comme d'un « grand-père ».
Bref, si vous aimez le développement abouti des personnages, les intrigues qui se déroulent sur une longue période, si vous êtes quelqu'un qui réfléchit un tant soit peu à la vie ou la mort, ce livre devrait vous plaire. « Qui suis-je ? Pourquoi suis-je né ? Dans quel but ? », ces questions existentielles sur le sens de la vie infusent sans cesse le récit qui traite également de la responsabilité de l'individu combattant la dichotomie entre le libre arbitre et l'influence du monde extérieur dans le cours de l'histoire. Les personnages fictifs et historiques se mêlent naturellement à la narration explorant la manière dont les vies individuelles affectent le progrès de l'histoire, remettant en cause la nature de la vérité acceptée par les historiens modernes.
"Guerre et paix" est bien plus qu'un roman. C'est un vaste récit détaillé d'un monde en constante contradiction où coexistent deux manières d'être : la guerre et la paix. La paix, entendue non seulement comme l'absence de guerre, mais surtout comme l'état tant convoité dans lequel l'individu met la main sur les clés de son identité et de son bonheur, tout en parvenant à une communion harmonieuse avec les autres.
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