AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"La puissance du vampire tient à ce que personne ne croit à son existence."
(B. Stoker, "Dracula")

Ha, cette phrase est un coup de maître ultime de la part de Bram Stoker... ! En quelque sorte, elle se moque de votre scepticisme, tout en vous avertissant qu'un beau jour vous pourriez le regretter, tel Jonathan Harker qui a franchi de son plein gré le funeste seuil du château transylvain.
L'imagination de Stoker était abondamment nourrie de légendes irlandaises, mais son comte Dracula, arraché au folklore balkanique, n'appartient déjà plus à la famille des monstres ancestraux. C'est un Mal sophistiqué, implanté dans le milieu urbain, qui doit ruser pour y survivre.
Voilà en quoi consiste précisément le mérite de Bram, premier véritable popularisateur du genre vampirique. On va le lui pardonner, car il ne pouvait pas anticiper le torrent excrémentiel de produits crépusculaires américains, qui engloutira l'Europe cent ans plus tard. Non, les filles, l'intrigant petit nouveau au lycée peut bien être d'une pâleur romantique à mourir, mais la chance que ce soit un vampire amoureux est, hélas, minime...

A cette époque de l'année où les forces du Mal se déchaînent, oublions ces soupirants pittoresques déchirés entre Eros et Thanatos, et revenons aux sources.
Le comte Alexeï Konstantinovitch Tolstoï, le plus âgé des trois célèbres écrivains qui partagent le même nom illustre, semble peu attiré par les formes courtes ; il n'a écrit que cinq nouvelles, dont trois sur le thème des revenants. Mais que ce soit son "Oupires", "Amena" ou "La Famille du Vourdalak" (1884), elles font partie, du moins à mon humble avis, des meilleures choses jamais écrites dans le genre fantastico-horrifique.

La première surprise est venue très vite, car j'étais persuadée que ce sera une histoire de loups-garous. Les appelations vourdalak, vlkolak, vrykolak, vlkodlak font vraiment toutes références à un homme dans la peau d'un loup, dans le folklore de l'Europe centrale. Mais en se renseignant sur le sujet, on apprend (entre autres choses passionnantes, en fouillant les récits sur les cas "authentiques" d'autrefois, ou les poignants témoignages recensés par Dom Calmet) que les Grecs commençaient à utiliser le terme tant pour le loup-garou que pour le vampire, ainsi que certaines nations balkaniques.
Ceci est donc vraiment une histoire de vampires, inspirée du folklore serbe et ses légendes sur des villages entiers décimés par la malédiction. Contrairement au non-mort moderne raffiné, le vourdalak est une brute épaisse sans conscience, puant la terre de tombe et assoiffée de sang, qui s'attaque de préférence à sa famille et à ses amis proches.
La seule façon de l'anéantir est un pieu de tremble dans le coeur ; une chose bien connue, diront les blasés... Sans se rendre compte, une fois de plus, que sans un certain dîner durant lequel un certain Abraham Stoker entama une discussion animée sur les superstitions balkaniques et le personnage historique de Vlad Tepes avec son ami l'orientaliste Vambery, pour faire ensuite un horrible cauchemar dû au homard mal digéré qui lui a (prétendument) inspiré "Dracula", on ne serait sans doute pas aussi bien informé sur le sujet. Sauf en lisant cette histoire de Tolstoï, publiée une dizaine d'années avant le roman de Bram.

Alexeï Konstantinovitch ne cherche même pas à embellir la croyance populaire, il nous livre une histoire crue et réaliste, puisée directement à la source. Et d'autant plus efficace, avec son atmosphère lugubre et brutale, qui éveille le côté sombre de l'imagination.
Il laisse raconter l'aventure par le vieux marquis d'Urfé à un petit cercle d'amis, pendant une soirée propice à ce genre de confessions :
Lors d'un voyage de jeunesse, l'aristocrate rencontre une famille paysanne serbe qui attend le retour du père, parti combattre les brigands turcs. Tout en précisant que s'il rentre après le coucher du soleil, ce ne sera plus "lui", mais "quelque chose d'autre", une créature de ténèbres qu'il faudra abattre sans pitié. L'attente est interminable, et c'est juste au moment où l'angélus a fini de sonner que le vieux Gorcha apparaît sur l'horizon. Est-ce toujours lui ? Difficile à dire, mais la famille ne rejette pas le père, et voilà que l'effroi commence ! le compte-rendu du marquis indique déjà qu'il a survécu à la rencontre, et pas seulement une fois. Il retourne à nouveau au village au bout de quelques années, et ce qu'il y trouve défie toute description...
D'Urfé se charge de son récit avec tout le charme gaulois d'un homme âgé qui a traversé bien de tempêtes. Sdenka la paysanne est une beauté slave devant laquelle il n'est pas aisé, malgré des tendances démoniaques, de refréner la propension française à la passion. le vieux Gorcha est le Mal à l'état pur, tandis que son fils Georges un véritable prototype d'un "junak" slave, dur et décidé.
Une fois la nuit tombée, faites très attention à ce qui se passe de l'autre côté de vos fenêtres !

5/5, même si l'auteur lui-même n'avait pas une très haute opinion de ce récit.
Commenter  J’apprécie          7523



Ont apprécié cette critique (74)voir plus




{* *}