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Critique de afriqueah



Ecrit juste après Trois morts, et avant son mariage avec Sonia/Sophie, « le bonheur conjugal » semble être le journal de la toute jeune Macha, qui, après la mort de ses parents, seule et déprimée, voit un ami de son père s'approcher pour aider les affaires du domaine.
Elle ne sent aucune attirance pour cet homme plus vieux et un peu bedonnant, puis se laisse prendre au jeu de vouloir lui plaire, non pas en jouant de ses charmes, mais en se rendant parfaite, en jouant de la musique pour lui (Tolstoï jouait chaque jour du piano) et surtout en se persuadant qu'il l'aime, même s'il ne veut pas l'avouer.
Etrangement, elle se sent non seulement diminuée par sa jeunesse, mais presque coupable, puisqu'elle veut lui appartenir et ne faire qu'un avec lui…. jusqu'au jour du mariage, où son monde finit : le plus jamais s'impose à elle, et pire encore ;
« Dans mon âme il y avait le bonheur, le bonheur envolé à tout jamais, le bonheur qui n'est pas revenu. » dit-elle à la veille de ses noces.

Les mois passent, entre rires, regards et sonates au piano, ils sont heureux « lui seul existait pour moi sur terre et je le considérais comme l'être le plus admirable, le plus infaillible du monde. »

Le bonheur conjugal se base sur les regards : parfois elle le regarde dans les yeux, ou lui la regarde en pleine face, symbole de la pureté de leur intention de tout se dire, parfois, lorsqu'elle veut aller au bal, elle le regarde d'un air suppliant.
Car, rapidement, cette fusion parfaite, cet accord de deux âmes achoppe dans l'ennui, elle veut du changement et voudrait bien bousculer la tranquillité d'homme mûr de son mari Serge.
Le bal ! là où son idée fixe de plaire à son futur mari, puis mari, de ne faire qu'un l'un avec l'autre lui échappe! le bal où elle devient le centre autour de qui tous les regards tournent, car elle est belle, les autres hommes la regardent et le mari détourne les yeux.
Le ver est dans le fruit, elle accepte, dit-elle, de renoncer aux plaisirs mondains, de se sacrifier, dit-elle et lui, Serge, est offensé par ce mot, elle surprend son regard attentif, sévère et comme chargé de reproche fixé sur elle. .
« A dater de ce jour un abîme s'était ouvert entre nous. »

Comment le bonheur peut-il se dévoyer si rapidement, alors que les deux partenaires veulent construire ?
Comment Tolstoï voit-il le mariage, lui qui va bientôt demander la main de Sonia/Sophie ?
Comment un couple peut-il se déconstruire sans une seule dispute, sans affrontements, sans intérêts contraires ?
Comment ce qui aurait pu continuer avec échange de regards et de complicité, comment la même superbe lune au-dessus de leur toit n'a pas changé, elle, et que Macha sent épouvantée la distance et la froideur de leurs rapports, comme si le regard de Serge était comme dérobé par un nuage ?
Comment l'ancienne plénitude de vie s'est éloignée pour eux deux et pour elle qui y croyait ?
Pire encore, elle lui demande en le regardant dans les yeux s'il regrette le passé, et non, il ne regrette rien, l'amour a changé, d'accord, mais il est toujours là pour lui.

C'est un vieillard.
Tolstoi a été comme Macha, insatiable, changeant, désirant ce qu'il n'a pas. Il voulait se marier, mais ce « bonheur conjugal » donne déjà un son lugubre inquiétant.
Il n'aime pas cette nouvelle « honteuse abomination » dit-il à son éditeur, qui, lui, a de suite compris l'écriture singulière de Tolstoï, prémice de la « Sonate à Kreutzer. »
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