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Critique de PatriceG


Les Conscrits. Léon Tolstoï

Petite nouvelle vivante dont on se pique de curiosité dès l'ouverture : scènes liées à la conscription dans un village russe sous Alexandre II il me semble où cinq jeunes hommes sont désignés pour être enrôlés dans l'armée pour une durée cyniquement excessive qui est un véritable coup de massue . Ce texte fait écho à mon billet du même jour sur Soloviev qui n'a pas conçu en amont dans ses textes sur la guerre les drames qui se jouaient dans les villages, réservoirs à soldats ..

Ici on assiste à la dernière visite dans chaque foyer des conscrits avant le départ pour le chef lieu de canton. Tout le village est là. Cela se passe en musique qui semble couvrir le déchirement et les pleurs des mères et des soeurs concernées et puis d'un seul coup le temps se fige quand l'attelage se met en branle. Les jeunes hommes refusent de s'enivrer pour affronter l'épreuve qui les attend avec dignité et courage. Les pères aussi sont terrassés, sachant que la fardeau sera encore plus lourd à porter pour assurer la subsistance du foyer .. C'est vraiment dur à supporter !

On sait que cette scène se multiplie dans quantité de villages russes et que beaucoup de conscrits ne reviendront pas, ou quand ils reviendront, ils seront méconnaissables, défigurés par la longue épreuve militaire, éprouvés par la dureté du régime et les guerres. La fatalité s'empare des populations .. J'ai adoré ce passage où l'auteur fait le portrait aguichant d'une jeune et belle femme dont on se demande ce qu'elle fait au milieu de cette galère avec des airs de bourgeoise venant de la ville d'à côté : elle n'est autre que la femme d'un des cinq malheureux enrôlés. Et le plus fort est ce qui n'est pas dit, mais fortement suggéré : elle ne restera pas longtemps seule à attendre un hypothétique retour de son mari 25 ans après, si tant est qu'une mauvaise nouvelle ne vienne abréger le cours des choses. C'est avec empathie bien sûr qu'on ne peut que lui souhaiter de voir ailleurs sans plus attendre. C'est du grand art ! (Voir citation)

Tolstoï agit ici comme un voyeur : il a entendu la veille à propos d'un village voisin où cinq jeunes gens provoquèrent un vacarme qui semblait dépasser les limites .. et accourt sur les lieux pour voir de visu ce qui se passe. le narrateur qui n'est autre que l'auteur selon toute vraisemblance semble hébété par ce à quoi il assiste. Il dit "Instantanément, tout mon être fut saisi d'effroi à la pensée de ce qui venait de se passer au cours de cette matinée brumeuse. Toutes les impressions diffuses, incompréhensibles et étranges, s'unissaient maintenant en un tout, éclairé par l'horrible réalité. Une honte subite me prit d'avoir considéré cela comme un spectacle intéressant. Je m'arrêtai. Et je retournai chez moi avec la conscience d'avoir accompli une mauvaise action".

Vibrant témoignage, simple et péremptoire, écrit avec une sobriété efficace, à la Tolstoï, ai-je envie de dire comme une petite histoire à raconter, si lourde de sens, en faveur de ce pauvre peuple. Je ne vois pas d'autre plume écrire si bien.. ce psychodrame qui se joue dans cette Russie rurale sous Alexandre II et qu'il est impérieux de rapporter.
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