AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bruno_Cm


Reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique, thanks to Babelio et les éditions Belfond.

Impressionné, je suis. Ce livre a beaucoup de qualités et (pourtant) il possède tous les défauts de notre monde occidental actuel, qui à force de vieillir fait naître des ovnis perpétuels, en recherche désespérée de sens ou de fric ou de sens et de fric ou en fait on ne sais plus trop bien quoi, au fond. C'est réellement de fond dont il est question ici. de toucher le fond, du début à la fin on assiste à un coulage (est-ce que ça se dit?) en règle d'un personnage, Aldo, qui est raconté par un personnage narrateur, Liam, même si les narrations s'interpénètrent un peu de façon gigogne... et ceci dit parfois on oublie presque le narrateur princeps, tellement les moments de narration d'Aldo sont longs.

J'avais d'abord commencé ma critique comme ceci :
Concernant ce livre, ce sera surtout des bémols qui n'en sont pas et un éloge immérité. Ou comment juger ses contemporains, ses ultra-contemporains... Ses pairs postmodernes, ses hérauts du rien-du-tout, plein de talent-s.
Mais je sens que cette critique sera tout autant déconstruite que n'est ce livre, tout en se cherchant une architecture sans réellement y parvenir.

Je trouve que certains passages sont hélas franchement dé-passionnants (je pense à l'espèce de poésie qu'Aldo fait sur son lit d'hôpital par exemple), qui à moi n'apportent rien de plus, ni sur la psychologie du personnage, ni sur l'intrigue véritablement, donc pénible... et qui allonge ce livre de façon rédhibitoire, le lecteur ne conseillera pas à d'autres de faire un tel effort pour un livre qui sera oublié relativement vite. (Ca c'est une partie noire dans ma critique. Assez injuste, je peux le reconnaître. Mais je crois qu'on retiendra très peu de nos (artistes) contemporains...) (La postérité nous le dira...) (Mais on ne sera plus là pour l'entendre. Soit je m'égare.)

Il y a aussi de temps à autre une répétition d'idée(s), qui en fait est dite par l'un et témoignée à un autre moment par l'autre sur cet un. Ce qui pourrait se passer dans la réalité, combien de fois n'entendons-nous pas les mêmes choses dites et reprises par l'un ou l'autre, mais par pitié parfois on enfin, c'est pas la peine de coller à la réalité à tout prix, ou plutôt ça vaut la peine de se décoller de la réalité, à bon escient. (Comme si ce livre était "collé à la réalité"...)

Le choix du sujet de l'auteur :
le personnage d'Aldo, raconté par un personnage, écrivain plus ou moins raté aussi, flic par défaut et qui ne cesse d'intervenir pour aider son ami, Aldo, au travers de toutes ses embrouilles tout au long de son existence. Cette existence qui finira mal, dans un engrenage permanent de souffrances diverses et variées. Mais cet Aldo a un vrai don, il est passionnant, et donc parvient tout du long à rester entouré de gens qui sans le comprendre, l'observe et le soutienne, même si tout ça est vain, et tout le monde semble le savoir. On observe. Quelques extraits :

"Le ton de notre conversation était jovial - nous plaisantions sur l'absurdité de la situation, en étant réduits à être les témoins involontaires de sa folie -, mais mon humeur finit par s'assombrir. L'idée qu'Aldo était un personnage spécial abritait en son sein une autre réalité : celle que nous autres n'avions en revanche rien de spécial."

"Une vie que personne n'analyse ne vaut pas la peine d'être vécue, affirmait Socrate ; moi, je le ferais pour lui. Qui mieux qu'un meilleur ami pourrait s'atteler à cette tâche ?"

Remarque intermédiaire :
L'Australie est un pays occidental (pas) comme les autres ? L'auteur est un hypercontemporain, traite de tout mais étrangement, les questions de racisme, de migrations, et également celles touchant au religieux radical (islam essentiellement) ne sont quasi pas abordées, l'Australie est-elle une terre où ces sujets ne sont pas comme par ailleurs des problèmes ? Ou l'auteur ne s'est pas sentie l'angle pour les attaquer ? Toujours est-il qu'Aldo, lui, n'aurait probablement pas pu ne pas en parler s'il avait été Français ou Américain, d'où mon interrogation car des propos à la Aldo dans la bouche d'Aldo ou dans celles de certains des truculents personnages secondaires, m'ont manqué !! Mon hypothèse est que l'auteur a (eu) peur, et s'est limité à des éléments de critique générale des religions.
Extrait :

"VOIX : Chrétienté, hindouisme, islam, judaïsme sont autant d'outils insuffisants pour répondre aux questions éthiques posées par le XXIe siècle, comme, par exemple, Est-ce qu'une relation sexuelle avec son propre clone relève de la masturbation ou de l'inceste ?
MOI : Ah, je la connais celle-là. C'est de l'inceste, non ?
VOIX : Tes églises, synagogues et mosquées sclérosées n'en ont aucune idée, ça, c'est certain."

Au moment où je retape ceci, je me dis que l'hypothèse n'est sans doute pas juste, il s'agit peut-être d'une profonde défiance face au religieux tel qu'il s'organise toujours right now, quel qu'il soit, et la volonté de ne pas pointer l'une ou l'autre religion particulière... Ce qui personnellement me ressemble bien, regard que nous (je) partagerions alors.

Positif !
Ce livre a vraiment un style, c'est impressionnant, les personnages ont des phrasés, des pensées, des psychologies qui sont réellement bien (dé-)montrées, Toltz doit avoir tout ça en lui, je me demande si il a eu facile à extraire tout cet ensemble ou s'il a dû énormément travailler, et noter sans cesse toutes ces petites phrases, idées, pensées, pour parvenir à les rassembler et à en faire un ensemble assez cohérent ou en tout cas qui se tient. C'est assez épatant en tout cas.
De tout petits exemples ?

"Je m'attendais à un sourire narquois, mais il avait l'air incroyablement blessé et abattu. J'aurais voulu le presser comme une fleur séchée entre les pages d'un livre."

"Je pense : Surfer, c'est comme l'envie de voler, primaire et contre-nature."

"- le but commun de l'humanité est de mourir avec dignité, et dans ce contexte, cela signifie s'éteindre dans son lit. Mais si tu as un matelas à eau ou des draps Spiderman ? Où est la dignité là-dedans ?"

"Tu sais, si ton seul outil est un pénis, alors chaque problème a la forme d'un vagin."

Ah oui j'oubliais les personnages s'interloquent aussi :
"C'est pour ça que tu n'arrives pas à écrire. Tu es bien trop respectueux de la réalité."
Cette remarque est assez clé dans ce livre et son récit, les personnages sont différents, et ces différences tiennent essentiellement dans cette phrase-là. Enfin, je trouve.

"- [...] Quel âge tu as ?
- Assez pour regretter de ne plus avoir de téléphone à cadran et pouvoir le raccrocher assez fort pour percer le tympan de mon correspondant."

"Un aparté, Votre Honneur : Est-ce que je m'y connais en art ? Je n'ai jamais été artiste, même si, enfant, je savais que demander à quelqu'un pourquoi il était de mauvaise humeur alors qu'il n'était pas de mauvaise humeur le rendait de mauvaise humeur - parfois, j'utilisais ce stratagème pour mettre une mauvaise ambiance dans la pièce. Ensuite, plus âgé, j'ai pris un véritable plaisir à dire à un nouveau couple qu'ils se ressemblaient comme frère et soeur, et à observer s'évaporer leur attraction sexuelle."

"... Si tu ne peux pas être génial, reste vague. S'ils ne savent pas ce que tu veux faire, ils ne verront pas que tu n'y es pas arrivé."

"... je souffrais de stress prétraumatique, puis de trauma, puis de stress post-traumatique, et souvent de tout ça en même temps. Puis je me suis dit : Si penser n'est que le rêve du pauvre; et que rêver est l'être du pauvre, et qu'être est le ne-pas-être du pauvre, alors ne pas être est le n'avoir-jamais-été du pauvre. Franchement, j'étais très énervé d'apprendre que disparaître et se dissoudre par simple volonté, se liquéfier dans son sommeil, que son corps et son âme se désintègrent, n'avoir jamais été conçu et n'être jamais né - être décréé, comme l'écrit Simone Weil était au-delà de mes capacités."

"... j'ai dit :
Seigneur, donne-moi la sérénité de relativiser mes peurs
avant qu'elles ne se transforment en prophéties réelles,
le courage de dégrader mes prémonitions en peurs, et
la sagesse de savoir faire la différence. ..."

"Pourquoi la paralysie et le viol doivent-ils constituer mon éducation sentimentale ? Je sais très bien que nous oublions trop souvent que les "droits de l'homme" sont pure fiction, mais cela fait toujours mal lorsqu'on se fait violer."

"MOI : Vous voulez dire que, pendant toutes ces atrocités, Dieu nous regarde de là-haut en s'attendant à ce qu'une autre divinité intervienne ?
VOIX : Peut-être."

Aaah c'est franchement fraîchement bon..., non ?
Bref, on y sent tout le cynisme, le désespoir ou la perte d'espoir dans cette humanité au rabais, ou perdue, et en même temps tout ce livre présente un combat, une lutte pour partir en beauté ou pour survivre en beauté, tout ça est vain, c'est ça qui est triste (comme dirait Bourvil)... A quoi sert la vie, pfiou, ce livre ne donne pas de réponse, c'est le livre d'un constat accablant. Mais ce constat est vraiment bien fichu, Toltz a du talent, beaucoup de talent, j'espère qu'il en fera aussi autre chose qu'un constat.

Enfin, voilà, je ne vais pas en dire plus pour ce livre, que je (ne) conseille (pas)... vivement.

Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}