Mort. Je la provoque. Je la retiens
dans mes mains, dans mes yeux.
J’ai oublié, il fait nuit, le monde
qui vit, les toitures dorées, les
feuilles et les ceintures.
Fermer les yeux pour mieux
respirer son odeur. Je ne suf-
foque pas. Elle est là et je suis
cadavre, je ne suis plus que
mon cadavre, allongé et jaune
[... ]
[Les marges]
[...] refuser toute complaisance.
Certes, je ne sais pas. Quand,
comment je mourrai. [...]
Aussi n’avancerai-je en face
d’aucun miroir. Je sais où je
suis : très exactement (dans
chaque univers un pied...), sur
la marge qui sépare deux espa-
ces, deux océans dont les flots
ne se mêleront jamais. Marge,
contradictoirement à ce point
imprécise qu’il est permis de ne
pas apercevoir [...].
Comme si la limite était l’espace
réel …
Je vacille pendant que la phrase qui nomme
la Mort découvre en même temps l’impossi-
bilité de la nommer. La Mort est là où le lan-
gage est impossible. Alors : je parle d’elle,
mais je n’en parle pas, puisque je parle.
C’est à l’instant de cette constatation que
je découvre le poème. Il était sous le drap…
J’ignore ; j’ignore tout d’un homme perdu
dans le soleil révélé de sa mort. Seul, incon-
nu de tous, dans une lumière étrange.
J’ignore qui sera celui-là dont le regard ne
sera plus compréhensible, le même et un
autre que celui qui écrit à présent : je n’ai
pas peur de finir…
[...] la Mort en me privant de langage me prive
de cette mort même, que je ne peux alors faire
apparaître qu’en négatif, et me prive de tout.
Figure de l’Indicible : toute image est interdite
à qui prétend incarner le néant (tout linceul,
tout ricanement), toute structure, toute voix …
[Mort. Syllabe sourde]
Je ne l’adore ni ne l’interroge. Je ne la maudis pas.
Elle n’est ni un but, ni un interdit ; ni un secours,
ni une justification, ni une gloire, ni un désir, ni un
obstacle, ni un flambeau, ni un mirage, ni une larve.
Elle ne me console pas et ne me fait pas vivre. Elle
ne m’empêche pas de vivre. Je ne m’abîme pas en
elle, ou devant elle ou par elle. [...] Elle a quelque
chose de très pur. Elle est tranquille, mais elle vibre
peu et son mouvement, qui se garde une certaine
souplesse, n’est perceptible que de moi seul. Elle
est lumineuse....