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Critique de Soune


Soune
19 février 2013
Qui ne connait la culture anglaise et son humour affriolant ne peut comprendre les subtilités de l'identité de toute une nation! On risque alors de réduire un peuple à ce qu'il n'est pas…L'humour anglais est en effet très particulier, voire même indéfinissable, au point, souvent, de rater sa cible, c'est-à-dire de nous faire rire, nous français.

Si nous sommes incapables de le comprendre ou de l'apprécier, cela s'explique à mon sens par l'ignorance dont nous faisons preuve face aux nuances du vocabulaire utilisé, par la difficulté de traduire certains traits d'humour ou encore aux différences culturelles.

La lecture que je viens d'achever m'a rappelé de délicieux souvenirs que j'ai vécus là-bas et qui m'ont alors révélé à l'époque les différences culturelles entre la France et l'Angleterre. Lors de ma deuxième journée de travail que j'effectuais à l'époque en Angleterre, j'ai eu le privilège de vivre de plein fouet les affres de l'humour anglais. Je voulais du traditionnel en y allant ? J'ai été servie. Il faut dire qu'à peine arrivée dans mon lieu de travail, j'ai fait les choses en grand et me suis de suite faite remarquée. Devant les yeux effarés de mes élèves, je me suis évanouie. Comme rencontre, on fait mieux, je vous l'accorde. Cependant je ne voyage jamais quelque part sans passer par la case médecin. Quelle ne fut ma joie par conséquent de découvrir pour commencer mon séjour le service précieux des urgences. le choc culturel m'a-t-il fait perdre pied ? Possible...
J'étais donc sous les feux de la rampe auprès de mes collègues et de mes élèves. J'aurai voulu passer inaperçu que j'aurai dû changer de pays. En tout cas, j'ai eu ma première admiratrice en la personne d'une collègue qui m'a préparée à la douche humoristique anglaise qui m'attendait en s'approchant de moi pour me susurrer, pince-sans-rire : « Il faut toujours que les français ses fassent remarquer ». Sur le moment, j'ai bien cru qu'elle plaisantait mais après avoir vu un rictus désagréable placé au coin de la bouche, les narines bien relevées et le regard fuyant, j'ai fortement douté… Je n'osais croire en effet que j'entrais en terrain miné. La Guerre de Cent Ans, m'avait-on assuré avant de prendre l'avion, était censée être terminée.

Les français font souvent des blagues sur les Belges. Les anglais eux ne peuvent s'empêcher de s'attaquer aux français. Fut un temps où existait par exemple un parc à Londres qui interdisait « les chiens et les français »… Existe-t-il toujours?

Bref, je terminais ma première journée sur les rotules mais heureuse d'avoir salué le système médical anglais. le lendemain fut une journée sans encombre : le soleil éblouissant d'automne et la découverte de mes élèves m'enchantaient et me promettaient de délicieux moments. J'étais aux anges. En fin d'après-midi, je me dirigeai vers la salle des profs afin de voir cette salle dont on m'avait vanté les merveilles. L'endroit était tranquille. Nous étions deux. Mal à l'aise comme toute nouvelle qui essaie de prendre ses marques, je me faisais discrète. J'en profitai pour ouvrir mes mails lorsqu'un groupe arriva. Les échanges semblaient passionnés. Il était question de vacances et de films à voir si ma mémoire est bonne. Je reportai donc mon attention sur mon écran. La voix d'une armoire à glace se fit soudain plus forte. Les décibels montèrent. Il était visiblement en colère. Un élève s'était mal comporté.
La vie de prof n'a jamais été de tout repos, que ce soit ici ou ailleurs. J'étais donc en terrain connu. Cette pensée me détendit. Je prenais mes marques.

Soudain, la voix de l'armoire à glace s'avança vers moi et, pour tout le monde entende, s'écria :
Mais qui a laissé sa cravate de mauvais goût sur la chaise ? Pas de doute, y'a que les français pour porter des horreurs pareilles !

Seule française dans la salle, je me demandai aussitôt quelle mouche avait poussé cet énergumène sans nom à me parler de la sorte. Je me retournai ensuite devant le silence de plomb qui suivit. On s'attendait visiblement à une réaction de ma part. Tout le monde me regarda. Sur une chaise placée derrière moi se trouvait bien en évidence une cravate très flashy, très extravagante, qui n'allait pas du tout avec la tenue obligatoire que nous devions tous porter, à savoir tailleur/costume sobre. Je jetai rapidement un coup d'oeil à l'objet, suivi aussitôt d'un regard rapide sur ma tenue me demandant si j'avais une tache énorme sur mon pantalon ou ma veste. Rien de tout cela n'existait. Ma tenue était correcte et semblable à celle de mes consoeurs. Tout le monde se mit à rire devant ma déconvenue. L'effet escompté avait visiblement réussi. J'esquissai un sourire et me retournai, partagée entre le gros éclat de rire devant l'absurde de la situation ou le haussement d'épaule désinvolte. Au final, je ne fis rien. Puis, mon collègue sur ma gauche se tourna vers moi et me chuchota:
-Vous savez, s'il vous dit ça le prof d'histoire, c'est parce qu'il vous aime bien.

Les yeux écarquillés, je lui souris. Je me souvins alors de ces phrases à maintes reprises prononcées par des français lors de rencontres avec des aïeux, entendues dans des documentaires, des films ou lues dans des livres:« Ils sont fous ces anglais !! »

Une fois rentrée à la maison, mon compagnon me demanda comment s'était passée ma rentrée :
- Je me suis faite incendiée mais c'est une preuve d'amour de leur part.
- ….C'est une bonne chose donc? Me demanda-t-il, mi-figue mi-raisin .
- Oui, je crois…

Les deux plaisanteries que je viens de relater sont typiques des situations rocambolesques dont raffolent les Britanniques. C'est un humour, basé sur l'inattendu, l'absurde, l'autodérision. Ils prennent un plaisir tout particulier à se moquer de leurs congénères, et tant pis si pour cela il faut maltraiter les institutions ou les conventions sociales.
Après coup, je suis heureuse d'en avoir fait les frais. Je suppose que ce fut le déclic qui me rendit plus sensible à cet humour. Depuis, j'ai tendance à lire un livre britannique en cherchant toujours un double sens. C'est du reste dans cette optique que j'ai lu un livre paru en français le 15 février 2013 et reçu grâce à l'opération Masse Critique de Babelio. Je me suis régalée de bout en bout. Je ne connaissais pas l'auteur bien que j'avais entendu parler d'elle mais je compte bien remédier à cette lacune rapidement.

Je ne sais si on peut résumer l'esprit d'une nation à un livre mais celui-ci, à mon sens, se rapproche beaucoup de l'identité anglaise. Voici un livre où vous risquez d'être surpris. L'histoire est rocambolesque à souhait. L'intrigue et les personnages peuvent paraître de prime abord étranges et excentriques et ne mener à rien, mais cela n'est pas le cas. L'auteur a écrit tout cela à dessein.

Bien qu'aveugle, l'auteur nous offre ici un regard acerbe et juste sur la société occidentale. L'ironie de la situation me fait sourire. A travers une histoire où l'humour noir est à foison, où l'humour anglais brut de pomme est présent, j'ai plongé avec délice dans les méandres d'une critique grinçante de la société. Un livre qui restera pour moi comme étant en décalage avec ce qu'on nous oblige bien souvent à penser. de là peut-être un certain malaise mêlé d'un plaisir inouï lorsqu'on ferme le livre…

Je tiens à remercier Babelio ainsi que la maison d'édition Charleston pour cet envoi en exclusivité.



Résumé de la quatrième de couverture :
Le jour où ses jumeaux quittent la maison pour entrer à l'université, Eva se met au lit… et elle y reste. Depuis dix-sept ans que le train de vie l'entraîne dans une course effrénée, elle a envie de hurler : « Stop ! Je veux descendre ! » Voilà enfin l'occasion.
Son mari, Brian, astronome empêtré dans une liaison extraconjugale peu satisfaisante, est contrarié. Qui lui préparera son dîner ? Eva ne cherche qu'à attirer l'attention, prétend-il. Mais la rumeur se répand et des admirateurs par centaines, voyant dans le geste d'Eva une forme de protestation, se pressent sous la fenêtre de sa chambre, tandis que son nouvel ami, Alexander, lui apporte du thé, des toasts, et une sollicitude inattendue. Depuis les confins de son lit, Eva va trouver le sens de sa vie, rien de moins !



Mon avis :
Lorsque ses deux enfants, des jumeaux, partent pour l'université et quittent le domicile familial, Eva, leur mère, âgée aujourd'hui de cinquante ans, monte à l'étage pour faire une sieste. Toutefois une fois dans ses draps elle réalise qu'elle serait folle d'en sortir. Elle décide alors d'y rester.

Elle ne supporte plus la négligence de ses enfants, le manque de considération de son mari ainsi que l'indifférence générale du monde face à la misère, aux guerres, etc. le refus d'Eva de se conduire à nouveau comme une femme et une mère respectueuse inquiète bientôt les membres de sa maisonnée. Malgré tout, elle persiste et insiste pour rester au lit. Va commencer à partir de cet instant un véritable bouleversement dans la vie de tous les habitants de cette maison.

Cela commence lorsqu'on voit, atterré, Eva, qui se plaint de l'égoïsme du monde qui l'entoure. Cependant elle va elle-même se montrer égocentrique, comptant sur l'aide d'autrui pour continuer à vivre de son lit. On se demande comment tout cela va se terminer lorsque de nombreux indices nous envoient dans une direction particulière.
En effet, rapidement après avoir exprimé son refus de quitter son lit, on entend Eva chanter I walk the Line de Johnny Cash. Je n'y aurais pas spécialement porté attention si le début n'avait pas fourmillé d'idées semblables. L'auteur nous donne ici un aperçu de ce qui nous attend, cette expression signifiant non seulement « marcher sur la corde raide » mais aussi « suivre les règles de la société ». En effet cette histoire abonde d'idées existentialistes, poussant le lecteur à remettre en question son mode de vie pour, j'imagine, devenir plus humain. L'évolution du personnage d'Eva est à ce titre une parfaite illustration.
Eva est une femme qui n'a pas pu s'affirmer dans sa jeunesse ou dans sa famille, se pliant sans cesse aux desiderata du monde qui l'entourait. Comment est décrit ce monde ? Il n'est pas très humain comme l'indiquent les nombreux noms de famille des personnages du roman. Eva, de son nom de jeune fille, Brown Bird (oiseau brun) va devenir en se mariant, Mme Beaver (Castor). Lorsque son mari, Brian, ira consulter un médecin, celui-ci, étrangement, se méprendra sur le nom de famille de Brian et l'appellera Mr Bee (abeille). Cette thématique animale est très présente dans le livre pour décrire les humains. On comprend aisément la raison à mesure que l'on découvre le reste de l'histoire. Les humains se révèlent bien plus bestiaux qu'il n'y parait. En décidant de rester au lit, Eva va déclencher en elle l'éveil qu'a connu par exemple Bouddha (qui signifie "éveillé"). En se retirant du monde parce qu'elle « ne sait plus y vivre » et parce qu'elle veut fuir le quotidien qu'elle a vécu comme une forme d'esclavagisme (ne dit-elle pas par exemple concernant ses enfants « dès l'instant où ils sont nés, j'ai compté les jours qui restaient avant leur départ à l'université ! Je me sentais esclave de deux extraterrestres. Je ne souhaitais qu'une chose : me mettre au lit toute seule et y rester aussi longtemps que je le voudrais »), Eva atteint par le biais du lit une forme de liberté, liberté vue comme l'état d'une personne qui n'est pas assujettie à une autre par des contraintes ou des servitudes.

Attention, si vous n'avez pas lu le livre, sachez que je vais dévoiler ici quelques éléments de l'histoire pour ajouter du poids à mon argumentation.
Ainsi, comme tout éveillé, Eva va découvrir qu'elle vit dans une illusion. le monde tel qu'elle l'imaginait n'existe pas. Son mari qu'elle croyait fidèle entretient une relation extra-conjugale avec une collègue depuis huit ans. Les gens la prennent pour une « sainte», une personne représentant la perfection, la qualifiant même de « poussière d'étoiles ». A l'image de Marthe Robin clouée au lit elle aussi, Eva va recevoir des gens venus lui demander de l'aide, ces derniers étant persuadés qu'elle a un don particulier. Avec elle, nous (re)constatons avec surprise la rapidité avec laquelle des faux semblants ou de simples suppositions forgent rapidement des « vérités ». Eva se fait la réflexion que « rien ne demeure vrai longtemps. Avec le temps, précise-t-elle, tout est déconstruit ».
Alors, lorsqu'on lui fait la réflexion, tout au long de l'histoire, de savoir si Eva est folle, on doute.Souvent, en effet, la thématique de la normalité apparait. « Permettez-moi de douter » nous pousse à penser Sue Townsend. Tout le monde croit qu'elle fait une dépression, mais Eva se porte très bien. Par ailleurs, c'est Brian, son mari, qui va aller consulter. Il dit au médecin qu'il vient pour sa femme, néanmoins c'est bien lui qui sortira du cabinet médical avec une prescription d'antidépresseurs à son nom. A croire que les gens malades ne sont pas ceux que nous croyons… Bien que tous s'évertuent à chercher « ce qui ne va pas » chez Eva, se basant sur le précepte sociétal que rester au lit pendant un an « n'est pas, normal » Eva, elle, pense que « la folie, c'est relatif ». D'autres choses surprenantes se font dans le monde et personne n'y voit à redire, précise-t-elle, comme lorsqu'elle fait la réflexion à sa belle-mère : « et un adulte qui joue à relier des numéros pour trouver des images ne tourne pas rond non plus ». le lecteur est certainement amené ici à se demander ce qu'est la normalité. Sur quoi se base-t-elle pour exister?

Eva vient de découvrir que le monde qui l'entourait est différent de ce qu'il présente mais, au fur et à mesure qu'elle passe des jours au lit, d'autres surprises se révèlent à elle. A force de vivre dans un quotidien harassant, elle avait ainsi occulté l'essentiel et notamment les gens. Elle avait oublié de communiquer: elle fait ainsi connaissance avec des personnes qu'elle ne regardait pas auparavant par exemple le laveur de vitres.
Elle se surprend aussi à vivre les joies du coeur: elle découvre ainsi le pardon devant le regard ahuri de ses proches qui la voit pardonner facilement des actes qu'eux récrimineraient (je fais allusion ici à la liaison de son mari et à l'invitation qu'elle fait à la maitresse de celui-ci de venir s'installer dans leur propriété à eux deux, Eva Beaver et son mari, Brian Beaver ainsi qu'à l'attitude non respectueuse d'une certaine Poppy). Les émotions qu'elle réfrénait jusqu'à présent sont à l'image même de ses deux enfants qui montrent une certaine dureté. Ils sont surdoués soit, mais émotionnellement « retardés », ais-je envie de dire.

L'histoire humoristique d'Une femme qui décida de passer une année au lit permet à l'auteur de porter notre attention sur des questions auxquelles on ne pense pas forcément. A l'image de la méditation active d'Eva, nous sommes nous aussi amenés à nous intéresser aux situations que tout ascète vit: désirer une vie simple (en prônant comme Descartes de vouloir faire table rase: «Tout ce que je possède, tout, doit être débarrassé. Je recommence à zéro »), chercher l'identité de la nature humaine cachée derrière de faux semblants pour découvrir au final que nous ne sommes pas mieux que les gens que l'on critique, « regarder la lumière dans le ciel » (jeu de mots ici que j'apprécie particulièrement) et se dire que « rien n'a vraiment d'importance (…) au regard de l'infini » si ce n'est peut être la « bienveillance »...






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