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Critique de berni_29


Chers amis, connaissez-vous Anna Song ? Non ? Pourtant il s'agit de « la plus grande pianiste vivante dont personne n'a jamais entendu parler ». Étonnant donc que vous n'en ayez pas encore entendu parlé... Alors je vais vous raconter son histoire...
Et dire que j'ai choisi ce livre un peu par hasard dans ma médiathèque préférée ! À le saisir, ce petit livre, je ne pensais pas qu'il serait si lourd...
Je l'ai ouvert, j'ai commencé à arpenter les premières pages et j'ai compris très vite qu'ici j'entrais dans un mystère, celui de l'amour absolu.
La double vie d'Anna Song. Comment pourrais-je vous parler de ce court roman si dense d'une auteure que je découvre par la même occasion, Minh Tran Huy ? Déjà dans le titre, vous imaginez que les choses ne sont pas si simples...
Anna Song est une pianiste classique devenue célèbre en quelques mois, après son décès, par la publication d'enregistrements..
Or, il s'agirait de faux enregistrements volés à des musiciens méconnus, ce sont pas moins de cent-deux enregistrements qu'elle aurait accomplis sur les toutes dernières années de son existence, de manière quasiment stakhanoviste et dont aucun ne serait d'elle : presque un scénario de roman policier. On pourrait se dire que ce livre nous entraîne dans les méandres d'une affaire d'escroquerie, de mystification. Très vite, le lecteur est happé vers autre chose, bien plus complexe... Et c'est ainsi que le sol se dérobe sous nos pieds. Parce qu'on aurait voulu croire à ce rêve, parce qu'on se raccroche à quelque chose qui referme la trappe encore béante où nos pas sont au bord du vide... Les êtres que nous aimons sont façonnés autant de chair que de chimères... On voudrait juste comprendre...
C'est l'histoire d'une profonde amitié qui se transforme un jour en amour. On dit que cela est impossible. Un homme nous démontre que c'est possible, nous parle, le narrateur Paul Desroches, l'homme qui aimait Anna Song depuis l'enfance, leur enfance partagée. Ils se sont perdus de vue, puis retrouvés. Celui qui est devenu plus tard son mari et son producteur...
Je sors de cette lecture et je cherche à y revenir, je rode autour des mots , je cherche une porte pour revenir au texte, sentir les mots, le texte, puiser une inspiration et trouver la clef qui vous permettrait de prendre le pas à la place des miens. Je suis encore sonné. Je voudrais me retirer du texte et vous laisser y entrer à votre tour...
Je referme le livre et je me demande encore ce que j'ai lu, ce qui était dans le texte, ce que l'auteure cherchait à dire et ce que je vais vous transmettre. Ce livre parlait-il de musique, d'exil, d'identité, de vérité, de faux-semblants, de folie, de chimères, d'amour finalement plus que tout... ? L'idéal serait que tout ceci soit aligné comme les planètes...
Les racines d'Anna Song se situent au Viêtnam, elle se sent déracinée sans être née là-bas, sans y avoir encore mis les pieds. Elle le fera un jour...
Et puis ses doigts un jour se crispent, frappés de dystonie... Et puis un autre jour, plus tard, bien plus tard la maladie vient, inexorablement. C'est un peu comme si le corps disait non, alors que l'âme fait encore semblant d'y croire encore un peu. C'est comme si à chaque fois le corps renonçait à ce voyage vers une destination qui n'était pas celle promise par les rêves, les attentes, la musique... Son voyage, sa musique, c'est un coeur qui bat accroché à une image, une photographie, celle d'un grand-père dans sa maison là-bas au Viêtnam, devant un arbre, et quel arbre ! Un ginkgo biloba ! L'arbre aux quarante écus. Un arbre qui survit à tous les désastres. On prétend même que seuls les ginkgo biloba sont les seuls arbres qui ont survécu aux deux effroyables drames d'Hiroshima et de Nagasaki... C'est peut-être cette photo d'un grand-père inconnu posant fièrement devant son arbre qui la fait tenir debout ou plutôt tenir devant son clavier, jeter ses doigts éperdus dans ce vide sidéral...
N'avez-vous jamais imaginé ce qui pouvait sommeiller derrière les doigts d'une pianiste, surtout lorsque les doigts de cette pianiste se crispent dans la douleur ? Ne veulent plus se déplier sur les touches noires et blanches ?
Le temps s'arrête parfois sur une photo. Un arrêt sur image, on appelle cela comme ça alors que l'image continue de bouger dans notre tête, ça devient même un film, un retour en arrière, sur un passé invisible, un passé qu'on n'a pas vécu, un pays pour lequel on est en exil et dans lequel on n'a jamais mis les pieds. On pourrait presque inventer le concept de double déracinement...
Ce court roman est magnifique comme une mélodie triste, remplie de chagrin et d'amour. Derrière les appoggiatures et les croches, j'ai cru parfois entendre Pavane pour une infante défunte venir à moi.
Cette ligne étrange entre l'imaginaire et la réalité, parfois elle existe... Comme j'aime la rechercher dans les livres, dans la vraie vie aussi... !
La musique n'est-elle pas pour Anna Song une manière d'écrire son histoire, de la réécrire, de la réinterpréter, de se projeter dans le miroir de son égarement ? Son amour de la musique est sincère, sa manière de l'interpréter l'était-elle tout autant ?
« Anna s'était raconté une belle histoire, comme les enfants qui croient aux légendes qu'on leur lit le soir avant de s'endormir, et celle-ci s'accordait si parfaitement avec ce qu'elle avait besoin d'entendre qu'elle n'était jamais allée voir au-delà. »
La fin du roman est un voile qui se déchire sous nos yeux pour faire entrer simplement sur les pages un peu de nos vies avec étonnement.
Bien sûr je vous laisse avec plein de mystères...
Une question continue plus tard de me tarauder comme dans un écho : jusqu'où peut-on aller par amour ?

Je ne résiste pas au plaisir de vous partager les deux magnifiques citations en exergue du récit et qui font écho au texte :
"Ton ombre qui s'étend sur moi, je voudrais en faire un jardin." Paul Éluard.
"Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir." René Char.
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