Dévastée par le chagrin, je ne pense plus qu’à retrouver Beaumont-sur-Oise, ma famille amputée brutalement, violemment, injustement d’un de ses enfants, par la seule intervention des forces de l’ordre. Je suis incapable de qualifier l’atrocité qui s’abat sur nous, son infamie, l’inhumanité qui en procède. Qui le serait ? Mon frère est mort comme un chien. Ma mobilisation intérieure enfle, elle n’aura pas de limite. La détermination de mes frères et de mes sœurs, la décuplera encore.
Mon chagrin est un gouffre. Mais ma rage est infinie, c’est un feu en moi. Je ne pense pas, je n’ai pas de plan. Je suis dressée dans l’adversité. C’est une guerre. Je n’ai plus rien à perdre, je veux sauver les miens. Notre honneur. Notre dignité. La tienne, Adama. Je veux que ton nom résonne dans le monde entier. Tu as été quelqu’un, nous allons faire de toi un symbole. J’en fais le serment. Je ne te laisserai pas mourir comme ça. Ta vie va retrouver son sens, celui qu’on confisque à ceux qui sont nés comme toi.
Je ne tolérerai pas une trace d’ombre sur la courte existence qui fut la tienne.
17 décembre 2016
Bagui a 25 ans aujourd’hui.
Il broie du noir, au trou.
Dis-moi que tu poses ta main sur son épaule, Adama ? Que tu veilles sur lui.
Mais Amine Bentounsi était un homme, tout court. Avec une vie. Une histoire. Pas juste un « voyou » avec son lot de mentions inscrites sur son casier judiciaire. A 13 ans, il était le plus jeune détenu de France, incarcéré à Fleury. Derrière les barreaux alors qu’il n’est que préadolescent, il finit abattu dans la rue par un policier. A 28 ans.
Un destin français.
Amal raconte à la barre comment, en tant que grande sœur, elle avait supplié le juge de ne pas enfermer son frère, parce qu’il était trop jeune, parce qu’elle savait qu’il serait perdu une fois en milieu carcéral. Elle voulait juste qu’on lui donne une petite chance. Amine ne l’a pas eue, il est sorti de prison, cassé, déjà sous le joug des plus grands. Il a eu une fille, qui ne l’a quasiment jamais vu ailleurs que dans des parloirs.
Une dérive programmée.
Le président de la cour d’assises lit des extraits d’enregistrements téléphoniques sur la ligne du policier Damien Saboundjian. On y entend ce dernier se vanter auprès de ses collègues : l’affaire est une aubaine, il va enfin être muté, devenir brigadier aussi. Le juge a l’air de ne pas apprécier, il demande à Damien Saboundjian s’il ne s’est pas perdu dans un sentiment de toute-puissance. La question est posée sans complaisance. Le magistrat n’est donc pas dupe, je me dis que la cour sera juste, le policier va être condamné à la hauteur des faits qu’il a commis. Il a tué un homme.
« Est-ce que mon fils Adama Traoré est chez vous ? » Le militaire confirme, tu es bien là. Tata s’inquiète : « On me dit qu’il aurait fait un malaise ? » Le gendarme la rassure : « Ah non, non…tout va bien. »
On nous ment. En fait, tu es mort.
Depuis trois heures déjà.