AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de mumuboc


Il faut parfois du temps pour parler, pour accepter de mettre des mots sur un traumatisme, Natasha Trethewey mettra 30 ans pour exhumer ses souvenirs d'enfance et du drame qui y a mis fin. Ce témoignage est un vibrant hommage d'une rare intensité d'une fille à sa mère à la fois par la sobriété de l'écriture dans laquelle on sent tout l'attachement et l'admiration qu'elle a pour celle mais également les regrets de l'avoir "oubliée" pendant tant d'années. Alors elle revient sur les lieux du crime, refait le chemin en remontant le temps, arpentant son enfance imprégnée de ce que couleur de peau, son métissage faisait d'elle, la mettant en marge parce que ni blanche, ni noire, dans un Mississipi ségrégationniste qui, lui ne fait pas ni dans la demi-mesure ni dans le mélange.

"Elle savait aussi qu'en tant qu'enfant métisse - à mi chemin entre eux deux -, je serai au bout du compte seule dans ce voyage pour comprendre qui j'étais, quelle était ma place dans le monde, tout en portant les fardeaux invisibles de l'histoire, à cheval sur la métaphore. Elle savait aussi qu'on se servirait du langage pour me nommer donc tenter de me limiter - bâtarde, mulâtresse, métisse, négresse - et que, comme avec la mule, cela m'entraverait et m'éperonnerait. Ma mère voulait juste que cela ne me détruise pas.(p52)"

Natasha Trethewey se souvient de son enfance heureuse entre des parents instruits et lui faisant découvrir la culture, le rôle des métaphores, lui montrant le chemin à prendre pour s'élever au-delà de la place qu'on lui assigne par sa couleur. Elle se souvient qu'elle est trop petite pour comprendre leur séparation, se souvenant avec émotion du duo qu'elle forme avec sa mère à leur arrivée à Atlanta même si elle continuait à la pousser à exceller dans toutes les matières afin d'ensuite rien se refuser dans ses choix. Mais Gwendolyn, sa mère, fera, elle, un mauvais choix en se liant à un homme, Big Joe, qui très rapidement va se révéler loin de l'image idéal du mari et du beau-père, un manipulateur et tortionnaire qui deviendra un assassin.

A la manière d'une enquêtrice elle relèvera les indices laissés, les avertissements tus, les souvenirs, mais aussi les sentiments comme la culpabilité ressentie, de n'avoir pas agi ou de l'avoir abandonnée à cette violence qui mettra fin à son existence, son admiration pour cette femme qui avait réussit à sortir de sa condition, à s'élever mais qui devra plier face à une folie, celle d'un homme dont elle avait pourtant réussi à divorcer mais qui se retrouva seule face à lui et ses menaces malgré les signalements et avertissements à l'image de Cassandre, auprès des autorités.

"Puisque personne ne veut entre ses avertissements, peut-être se dit-elle que son silence pourra empêcher le destin de s'accomplir. Mieux vaut garder certaines choses pour elle plutôt que d'appeler la catastrophe en parlant. (p81-82)"

Elle entremêle les formes pour réussir à aller au bout de son travail de mémoire, entremêlant les transcriptions des dernières conversations de sa mère et son beau-père, ses annotations et réflexions dans son difficile d'écriture, elle emploie le "tu" quand la distance est nécessaire et que le "je" devient trop lourd, mais ne résout en rien de la douleur d'avoir su, senti, tu tous les signes annonciateurs :

"Regarde-toi. Aujourd'hui encore tu cris que tu peux prendre tes distances avec cette petite fille par l'écriture, en recourant à la deuxième personne du singulier, comme si tu n'étais pas celle à qui tout cela est arrivé. (p13)"

mais également laisse transpirer l'hommage qu'elle veut rendre à celle qui, malgré son discernement, son intelligence est "tombée" entre les mains d'un homme qui a décidé de son destin.

En quelques 200 pages l'auteure fait le portrait d'une Amérique pas si lointaine (et encore actuelle) où tout vous ramène à la couleur de peau (même au dos d'un chèque) mais également d'un fléau mondial, la violence sur les femmes dans le cadre familial en particulier, où rien, ni les signalements, ni l'éloignement, ne vous protège.

J'ai beaucoup aimé.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
Commenter  J’apprécie          302



Ont apprécié cette critique (30)voir plus




{* *}