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Critique de Biblioroz


Les éléments qui peuvent infléchir sur le devenir d'une famille peuvent être multiples et puiser leurs sources dans l'Histoire, les êtres vivants, ou tout simplement la nature environnante. Parfois, les trois sources se concertent et tissent leur toile autour d'un petit cercle familial qui n'a pas les armes nécessaires pour résister aux pressions que les mailles exercent inexorablement sur son pourtour si fragile.

L'été 1921 voit une Irlande indépendante mais la guerre civile s'est installée et sème ses troubles visant les maisons cossues abritant une présence anglaise. C'est le cas du domaine de Lahardane, près d'Enniseala, où vivent le capitaine Gault, sa femme anglaise et sa fille Lucy. Après une première tentative d'intimidation qui s'est soldée par l'empoisonnement des chiens, des jeunes activistes récidivent pour incendier la maison mais Everard Gault blesse l'un d'entre eux à l'épaule et dès lors, la peur de sa femme n'y voit qu'une issue : l'exil.
« Je ne partirai pas de Lahardane. » Lucy, bientôt neuf ans, ne peut se résoudre à abandonner cette maison perdue dans son écrin forestier et maritime, ses allées pavées desservant le jardin et un verger, ses chambres donnant sur la mer, le bleu des hortensias explosant sur le gris de la pierre et la longue allée flanquée de marronniers qui mène à cette demeure. Elle ne remplira pas la valise bleue toute neuve mais préparera quelques vêtements et nourritures pour rejoindre un cottage abandonné dans la forêt. de sa fugue, elle espère le retour de ses parents sur leur décision d'un départ précipité. Les planches posées pour obstruer les fenêtres de sa maison lui sont insoutenables. Mais c'est là que la nature intervient en plaçant un trou sur le chemin de Lucy qui endommagera fatalement sa cheville. de ses baignades faites en catimini et d'un chien sans nom chipeur de sandales et vêtements viendra la certitude, pour ses parents, que leur enfant s'est noyé.

Dans un quotidien scrupuleusement décrit, dans les bruits ou les silences qui martèlent les évènements, William Trevor signe ici un roman aux accents terriblement tristes où le deuil, la solitude et les remords ondoient sur des personnages ne pouvant lutter contre ces forces invisibles écrasantes.
Lorsque le départ est imminent, il nous fait ressentir le silence qui s'installe, juste troublé par la fermeture des malles et valises. Dans ce silence, une promesse flotte mais ne demande qu'à sombrer, celle d'un retour possible, mais l'exil, qui semble le drame intrinsèque de cette terre irlandaise, sonne son irrévocabilité.
Le regret de ne pas avoir discuté davantage avec Lucy de leur départ accompagnera les parents dans leur deuil qu'ils vont traîner dans leur exil. Aucun endroit ne sera assez loin pour fuir la mémoire de ce tragique passé qu'ils s'interdiront d'évoquer. Ils poursuivront leurs voyages sans jamais éloigner le chagrin alors que Lucy poursuivra sa vie à Lahardane sans jamais s'autoriser d'être aimée.
L'auteur esquisse aussi le désarroi qui s'empare de l'homme blessé par Everard Gault, une culpabilité confuse dont il ne pourra se défaire.

Dans ce roman, William Trevor, avec une magnifique plume éthérée, qui évoque encore bien plus que les mots marqués sur les pages, pétrifient des existences à partir d'un contexte historique et de déductions erronées. Lucy, ses parents, l'homme blessé, ne se débâteront pas. Leurs sorts se fossiliseront sans aucun bonheur de vivre, dans l'attente d'une rédemption qui n'arrivera pas ou alors si tardivement, si imparfaitement… le temps effritera les êtres et délabrera les intérieurs.
Dans l'attente du retour des parents, Lucy, cachées sous ses robes blanches en souvenir de sa mère, laissera filer les années, recluse à Lahardane, malgré les doux efforts des rares personnes qui traverseront sa vie.

C'est une lecture plutôt écrasante sur les conséquences de ce choix cruel entre s'exiler ou rester, avec de petits faits qui bouleverseront tragiquement les destins, mais la force mélancolique soufflée par l'auteur est absolument envoûtante, magnifiquement écrite et suggérée. Avec des personnages accablés qu'il sait nous faire aimer, William Trevor sublime l'infiniment triste qui a résulté d'une page de l'histoire de cette magnifique terre irlandaise.
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