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Critique de MarianneL


Publié pour la première fois en 1996, ce récit à trois voix nous conte une nuit d'horreur, une nuit qui englobe toute la succession des dictatures et des massacres perpétrés dans l'île d'Haïti depuis les Duvalier, et même dans les racines de ce qui les précédât, avec l'évocation de l'occupation américaine jusqu'en 1934.
La première voix est celle d'une vieille femme, qui fut putain, madone, mère, grand-mère, et qui depuis vingt ans est tenancière de bordel, recueillant des filles fatiguées de porter des seaux d'eau sur la tête ; et puis la voix d'un homme, et l'évocation de son histoire d'amour naissante, au milieu du chaos ; et enfin celle d'un chauffeur de taxi victime des milices armées, qui dans la nuit de l'horreur perd sa voiture, sa jambe et sans doute sa raison.

Dans ces mots sont inscrits toute la violence de la misère et de la répression, l'éruption de la haine qui croît plus vite que tout, l'horreur des journalistes qui viennent renifler l'odeur des massacres, l'averse rouge sang, couleur traditionnelle sur l'ile d'Haïti, «vingt-sept mille kilomètres carrés de haine et de désolation», et «le bleu des attentes de pain, d'océan et de rêves».

«Il faudrait désormais nous taire sur nos vérités. Quand le salut naît du silence, c'est la preuve que l'homme a vieilli. Nous avons vieilli en une nuit.»

Lyonel Trouillot qui a passé son adolescence aux Etats-Unis, a choisi de revenir vivre à Port-au-Prince et de ne pas se taire, dénonçant dans ses livres la misère, l'injustice et la haine. L'empilement et la profusion de ses mots, en un chant poétique, témoigne de l'insensé, et de l'insoutenable.

«De la gueule du canon tonnait une horrible musique concrète, des morceaux de chair s'accrochaient aux murs, les corps qu'on empilait dans les camions prenaient des formes nouvelles, une épaule arrachée faisait bretelle avec un crâne, pour la première fois sans doute des étrangers se rencontraient, se serraient passionnément, dis-moi qui tu hantes, amitiés post-mortem, agonie partagée comme s'ils avaient vécu ensemble, au fait, monsieur, il y a bien longtemps que plus personne ne vit avec personne, comment vivre avec quelqu'un quand on ne sait même plus ce que c'est que la vie, la peur va faire ses courses, elle se lève à toute heure, à midi dans les yeux des chiens, au sud des aubes pâles couleur de papier d'emballage, tenez-le d'une vieille pute, monsieur, les gens ne vivent plus ensemble.»
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