Lyonel Trouillot

Entretien avec Lyonel Trouillot à propos de son livre "Parabole du failli"

Cette œuvre de fiction ne raconte ni la vie ni la mort de Karl Marcel, précisez-vous dans un avertissement. Que partage Pedro, le héros de votre roman, avec ce comédien haïtien décédé à Paris en 1997 ?

Beaucoup de choses. Nombre d`anecdotes sont empruntées à la vie de Marcel, et à la vie de ces artistes généreux et paumés, « trappeurs des nuits de Port-au-Prince », comme aurait dit le grand poète haïtien René Philoctète. le suicide aussi, bien sûr. le quartier de Saint-Antoine où il arrivait à Marcel de traîner…

Si Karl Marcel a inspiré le personnage de Pedro, le narrateur partage-t-il avec vous quelques-uns de vos souvenirs ?

On travaille avec ses souvenirs. J`ai habité ce quartier. Et le monde de Pedro, la vie nocturne, les errances, c`était un peu le mien. Sans être impliqué en tant que personnage, j`ai construit la fiction en regardant dans mes souvenirs comme données du réel.

Pedro est continuellement entouré de deux amis, le narrateur et l`"Estropié". Ce petit groupe qui arpente les ruelles délabrées d`Haïti semble lié par l`amour des mots et de la poésie. On sent pourtant un certain nombre de reproches ou tout du moins de non-dits dans leur relation. Au-delà des mots, par quels liens sont-ils tous les trois unis ?

Il y a entre eux et Pedro un déficit de réciprocité. Comme on a pu le dire d`un grand homme : « c`était un égoïste qui ne pensait qu`aux autres » .Les deux amis étaient un peu les sacrifiés du besoin absolu de générosité qui animait Pedro.

Si le roman a pour cadre Haïti, c`est à Paris que Pedro se perd définitivement. Votre narrateur affirme qu`à Haïti, lui et ses amis auraient pu le sauver. Sans l`expliquer, l`éloignement a-t-il un rôle à jouer dans ce suicide ? Se perd-on à vouloir fuir nos proches, nos racines ?

Les lecteurs restent libres d`interpréter à leur guise. Ma réponse personnelle serait sans intérêt. Se pose à nous la question de l`ancrage, du repère. Que fuir et à quoi s`accrocher ?

"Parabole du failli" peut-il être lu comme un aveu de faiblesse du rôle de la poésie dans le monde moderne ?

Là encore, je serais bien prétentieux de proposer des pistes de lecture. La question de la puissance et de la faiblesse du langage se pose dans le livre comme dans la vie. Que pouvons-nous entendre de l`autre ? Qu`entend-il de nous ? Quant aux réponses, peuvent-elles prétendre à la vérité ?

Quelques questions à propos de vos lectures

Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?

Pas un auteur. Des textes qui fonctionnent comme un système sans faille. Certains romans de Gabriel-Garcia-Marquez ou de José Saramago. Certains poèmes. Contrairement à de nombreux écrivains, je préfère la littérature à ce que j`écris, et parfois je me dis, face à la force d`un grand texte, si on ne peut pas faire ça…

Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

Mon enfance est peuplée de livres, difficile d`en choisir un. La poésie de Victor Hugo , des romans : Gouverneurs de la rosée, Compère général Soleil, Les raisins de la colère…

Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

Les fleurs du mal de Charles Baudelaire probablement et Last exit to brooklyn d`Hubert Selby Jr.

Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?

Pas de honte.

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

Il y en a tellement. Et, méconnue de qui ? Le peuple des terres mêlées de René Philoctète, L`acheteur de temps, ou Rachid et le capitalisme de Régis Couder…

Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?

Si nous le voulions, il n`y aurait que des merveilles…