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Critique de glegat


À l'enfer de Marioupol bombardée en 2022 par Poutine, fait écho le martyre de Novgorod où l'expédition punitive d'Ivan le Terrible en 1569 fit des dizaines de milliers de victimes innocentes. 453 ans séparent ces deux évènements, mais le contexte politique et civilisationnel présente de surprenants parallèles avec notre époque. Henri Troyat, connu pour son talent de romancier prolifique est aussi et je dirais même surtout un grand biographe, même s'il ne se targue pas d'être historien il est l'auteur d'une vingtaine de biographies particulièrement réussies. Spécialiste de la Russie (il est né à Moscou) il a consacré une partie de sa vie à rédiger des biographies d'auteurs et de souverains Russes. Je recommande en particulier sa biographie de tolstoï. Je viens de terminer en deux jours l'ouvrage qu'il a consacré à Ivan le Terrible et je suis abasourdi par l'incroyable destin de cet autocrate particulièrement cruel et sadique.

Ivan IV est né en 1530. Il a trois ans à la mort de son père Vassili III grand-duc de Moscou. Il vit dans un climat d'espionnage, d'empoisonnement, de violence et prend de la vie une conception d'animal rapace, ardent à poursuivre ses proies et à jouir de leurs souffrances. Très tôt il craint d'être assassiné par ses opposants alors il prend les devants et à 13 ans fait preuve d'une grande audace, il inspire la crainte à ses adversaires et s'installe au pouvoir. Rapidement il va s'autoproclamer tsar inaugurant ainsi une longue lignée d'autocrate. Il aime torturer les animaux, boire, maltraiter les moujiks, tuer les boyards récalcitrants et violenter les femmes. Mais ce n'est pas un illettré, il aime se plonger dans la lecture de la Bible, il aime la théologie et l'histoire. Il voit des complots partout et fait décapiter ses proches et son propre frère. « Nul dans on entourage n'ose protester. Cette acceptation horrifiée de la sentence renforce en lui l'idée que sa justice est infaillible et son pouvoir sacré » Page 27

D'année en année, Ivan prend mieux conscience des limites de son empire. Il souhaite l'étendre à l'Ukraine occidentale, la Crimée, la Lituanie et les pays riverains de la Baltique. Page 29

Il réside dans sa forteresse du Kremlin ou une garde nombreuse veille sur sa sécurité. « Les plus grosses fortunes de Russie sont entre les mains de l'église. Pressuré d'un côté par l'église, de l'autre par l'État, le peuple russe dans son ensemble est pauvre, endetté, assujetti ». Page 31

Le despotisme, la violence et la cruauté d'Ivan le Terrible côtoient la plus intransigeante foi orthodoxe. Il rêve de « délivrer » Kiev de la domination polonaise. « Deux pensées l'absorbent uniquement, servir Dieu et écraser ses ennemis » Page 107. À partir de 1565 il s'enferme dans une paranoïa sévère et passe son temps à prier ou à assister aux supplices de ses victimes. En 1570, à la suite d'une dénonciation calomnieuse d'un complot imaginaire il mène une expédition punitive à Novgorod et massacre ses habitants qui sont pourtant de nationalité russe.

L'ambassadeur russe est un jour interrogé par un ministre étranger qui lui demande comment les Russes pouvaient s'accommoder d'un tyran tel qu'Ivan IV, le diplomate répond : « Nous sommes toujours dévoués à nos tsars, qu'ils soient bons ou cruels ».

En 1581, ne supportant pas la contradiction il se querelle avec son fils et le tue avec la canne qui lui servait à torturer ses ennemis. Il rejette toutes les tentatives de négociation et d'apaisement. À l'envoyé du pape qui lui propose d'envoyer des Russes à Rome afin d'y apprendre le latin et les sciences modernes il rétorque qu'un vrai russe doit rester chez soi, il ne sait trop que, là-bas ils se laisseraient gagner par les moeurs et les opinions européennes. À leur retour, ils rapporteraient en Russie la peste du désordre, de la libre pensée et des modes frelatés du monde occidental.

Ivan meurt d'une crise cardiaque le 18 mars 1584 alors qu'il s'apprêtait à faire une partie d'échecs, il était âgé de 53 ans. Son fils Fedor lui succède et se fait assister de son beau-frère Boris Godounov qui gouvernera à sa place.

Ce livre d'Henri Troyat (première édition publiée en 1982) est rédigé dans un style direct et comporte de nombreuses descriptions très crues et réalistes de scènes de tortures et de massacres au point qu'un lecteur sensible pourrait en être affecté. Pour en avoir le coeur net, il me faudrait lire une autre biographie de ce personnage horrible et comparer avec la version d'Henri Troyat pour savoir s'il y a exagération ou non. Ce qui est certain c'est qu'Henri Troyat (né Lev Aslanovitch Tarassov) connaît parfaitement l'histoire russe puisqu'il est né à Moscou et que toute sa famille est russe. Henri Troyat représente même la réalité du peuple russe, cultivé et fraternel en total contraste avec la plupart de ses dirigeants.

Bien évidemment la propagande russe a minimisé l'ampleur de la cruauté de son premier tsar (sans doute le plus cruel de tous). Lénine et Staline voient en lui le fondateur de l'État russe centralisé. La Grande encyclopédie soviétique va même jusqu'à saluer en lui « l'un des plus grands civilisateurs de son temps ». Il faut savoir que cette encyclopédie publiée par l'Union soviétique de 1926 à 1990 par l'imprimerie d'État est à nouveau publiée depuis 2002 sous le nom de Bolchaïa Rossiskaïa entsiklopedia, ou Grande encyclopédie russe.

Une lecture qui fait froid dans le dos à l'aune de ce qu'il se passe actuellement en Ukraine.

— « Ivan le Terrible », Henri Troyat (1984), Flammarion, 284 pages.
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