AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Acerola13


Le ministère de la douleur est un roman de l'écrivain croate Dubravka Ugresic, contrainte à l'exil en 1993 pour ses prises de position antinationalistes.

Le roman, écrit à la première personne du singulier, semble à tout point autobiographique : la narratrice est une jeune femme en exil à Berlin, puis à Amsterdam où on lui offre un poste de professeur de langue slave, et plus précisément de...de quelle langue effectivement ? de serbo-croate ? de serbe ? de croate ? de bosniaque ? Des trois séparément ?
Peu motivée à enseigner dans les règles à ses étudiants, tous issus de l'ancienne Yougoslavie et dont la seule préoccupation est d'obtenir des papiers néerlandais, la professeur leur propose une sorte de programme leur permettant de questionner leur identité et leur mémoire de la guerre qui sévit, sans se douter qu'elle-même est loin d'être en l'état pour supporter ce face à face avec son propre passé.

Les thèmes évoqués par l'auteur sont variés : une grande place est laissée à la langue et à son rapport avec l'identité ; on ressent la difficulté de la narratrice à jongler entre sa propre langue aux déclinaisons multiples et l'anglais et le néerlandais. Cette question de la langue est également intimement liée à la littérature serbo-croate, commune à des peuples qui se déchirent au nom d'une identité différente.

Sans grande surprise, le thème de l'exil est également présent, avec un face à face constant entre le "nous" et le "eux", les compatriotes facilement identifiables et les Néerlandais hypocrites, les exilés et ceux qui sont restés sur place, la mafia qui étend ses réseaux et les criminels de guerre qui courent toujours. On est surpris par le regard très dur porté par la narratrice à la fois sur ses compatriotes demeurés sur place et qui semblent anesthésiés, mais aussi sur les fonctionnaires des ONG, heureux d'avoir enfin un nouveau terrain de jeu fait d'horreurs et d'atrocités à documenter.

Enfin, le traumatisme de la guerre et de la cruauté humaine ne laisse aucun des personnages indemnes ; tous semblent friser la limite de la rupture, et leurs tentatives pour faire leur deuil demeurent vaines, pas vraiment aidées par la proximité du tribunal pénal international de la Haye, si proche.

Si ces trois thèmes sous-jacents sont réellement intéressants pour mieux comprendre une guerre à la fois si proche et si lointaine, la trame narrative de la descente aux enfers de la narratrice et ses circonvolutions incessantes noient le lecteur auquel n'échappe pas les contradictions agaçantes de cette dernière ; le roman prend également un tour curieux dans sa dernière partie, et le face à face entre la narratrice et son élève favori suinte une atmosphère malsaine qui rend difficilement concevable la chute...On s'empresse donc de refermer ce ministère de la douleur insoutenable.
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}