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Critique de Sundgauer


Dans un style empreint de haine et rappelant la solitude du narrateur des Carnets du sous-sol, on suit la vie d'un jeune traducteur d'extrême-droite, perdu dans la stérilité de sa vie, s'envisageant comme le martyr de la cause qu'il cherche à défendre (je ne vais pas faire la publicité de tout ce qu'on en entend au quotidien, BFM s'en chargeant mieux que moi), ne vivant que par bribes, entre deux délires médicamenteux, épiant la vie pour s'en masturber plutôt que de la vivre. Ce journal s'adresse à sa soeur défunte, seule réelle compagne d'une vie passée à tout nettoyer, à compiler des bribes d'articles de presse comme autant de signes annonciateurs de son grand soir, et à ne pas réussir à supporter les senteurs de graillon, et surtout de l'altérité (qui rappelle un peu un Des Esseintes).


Tout y est cru, proche du rut, d'une haine épidermique. Ungar déploie le constat assez noir de l'incapacité des personnalités limite à se transcender ou se sublimer dans l'amour quand la frontière est déjà franchie. le livre parle d'ailleurs d'une histoire d'amour, teintée de sauvetage, de complot, de surveillance et de haine réciproque (ou fantasmée, puisque l'altérité est extraite du texte par le point de vue globalisant du narrateur qui est à la fois question, réponse et solution).


Le roman se fait l'écho des pensées en sourdine que l'on garde pour soi quand, face à la montée du terrorisme, autour d'un débat politique, on se dit que la République est laxiste, sans se l'avouer. Mais la force du roman, comparé, à
tort, à un nouveau Houellebecq, réside dans la représentation de la stérilité du monde contemporain. Contrairement à chez Houellebecq, la problématique de l'extrême droite n'est pas uniquement tournée dans la dérisoire froideur bourgeoise d'une plume sulfureuse, ni dans un acoquinement, estimé courageux, avec les idées d'extrême droite. Ni même une provocation contre les "islamo-gauchistes" .


Ungar fait comprendre le problème existentiel de ceux qui se veulent des martyrs, quel qu'en soit le bord politique (et il est intéressant d'essayer de vouloir dire ce que peut-être la pensée d'extreme droite, qui ne se voit que comme réagissant à des menaces, se déresponsabilisant quelque part de la notion d'acte : un militantisme revanchard sur lequel les choses ne font que ruisseler, et dont les actions ne sont que la conséquence logique de ce ruissellement. C'est finalement ça la logique extrémiste, quelle qu'elle soit, très illégitime au fond : qui peut dire qu'il est le porte-voix de la multitude ?)


L'atrophie des temps modernes est décrite de manière chirurgicale, nette, sans que les émotions ne viennent y prendre place. C'est une exploration de la misère de la solitude dans ce qu'elle a de presque viandarde (le texte rappelle à certains égards le naturalisme), de médicamentée, de délirante. Les bombes explosent, mais combien n'explosent pas, ou s'en approchent, dans la solitude d'une société qui se veut libre, mais n'offrant finalement rien pour se sentir comme une partie d'elle-même? Qui pourrait y agir et obtenir quelque chose ?


La quête du sens du "héros" (renouant avec la tradition du anti-heros stendhalien) n'est tissée que sur un flot de haine, sur son esprit voyeur dont la barque n'arrive jamais à accoster sur le monde réel, sur la communauté. Son îlot de solitude est à la fois sordide, impuni, tragique (le narrateur est à la fois misérable, jamais sublime, mais éveille la pitié pour qui sait la voir. Terreur et pitié, ciment du tragique, qui ne se situe pas là où le protagoniste le croit, c'est à dire dans ses actes tentés, avortés et fantasmé, mais dans l'essence même de son être, de son texte).


Le traitement narratif de ce sujet (emploi de la troisième personne sur la fin pour parler de soi, intérêt du spectacle, pas uniquement pour pleurer sur le sort la société du spectacle comme on le fait souvent, mais pour montrer comment il ne peut qu'y avoir que spectacle et fantasmagorie sur sa propre vie dans le monde capitaliste qui nous fait miroiter un but, en n'offrant finalement qu'une expérience frelatée et décevante des choses, créant des désirs dans un monde qui nous asexualise, ou la démocratie n'est devenue qu'un consensus de chaque délire personnel et d'une vision "personnelle" des choses, sourde à celle des autres et à celle des faits - là est peut-être la réelle Babel - au point de se demander quand nous sommes perdus dans les pensées du narrateur, ou dans la réalité) est sans doute ce qui fait la force d'un livre qui se lit d'une traite, pour raviver les blessures du sens profond de notre propre solitude.
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