AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HundredDreams


Marie Vaislic a choisi d'intituler son livre « Il n'y aura bientôt plus personne ».
Quelle force dans ces quelques mots ! On ressent comme un sentiment d'urgence à l'heure des derniers témoins encore vivants, un désir de raconter une fois de plus son histoire, de coucher sur le papier les mots qui racontent l'indicible.
Pour que les souvenirs ne s'effacent jamais.
Pour que personne n'oublie jamais l'existence des camps de concentration et d'extermination, l'histoire de la Shoah.
Pour transmettre aux nouvelles générations ce passé douloureux.
Témoigner encore et encore, pour que de tels actes ne se reproduisent plus.
Pour que la barbarie cesse un jour.

« … j'ai un peu peur qu'on me reproche, à moi ou à d'autres, ce livre de plus. Que les gens se disent que nous prenons trop de place, aujourd'hui. Je ne le fais d'ailleurs plus beaucoup, témoigner. Mais il n'y aura bientôt plus personne pour raconter ce que cette histoire a été. Qui sera là, pour essayer de dire ce qu'il a vu ? Alors, je crois qu'il faut tout de même continuer. »

Voici les dernières paroles du texte de Marie Vaislic. Elles m'ont bouleversée. A l'heure où les mouvements extrémistes mettent en danger les valeurs morales, la démocratie et la paix, il est important de se souvenir, de témoigner, de transmettre l'histoire et le vécu des victimes de la Shoah.
A nous d'écouter et d'apprendre des erreurs du passé.

*
Marie Vaislic nous invite à entrer dans sa vie, dans son intimité sans que l'on se sente voyeur à aucun moment. Elle nous y invite avec douceur, discrétion, dignité et sincérité.
Avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, Marie Vaislic revient sur son enfance insouciante et ignorante du monde, son arrestation à son domicile toulousain en Juillet 1944. Elle n'est qu'une enfant, quatorze ans à peine. Elle va vivre, seule, la déportation, l'enfer du voyage vers Ravensbrück dans des wagons à bestiaux, l'effroi de ce premier jour où les femmes voient leur intimité violée.

Elle raconte sa propre captivité sobrement, simplement : la cruauté des gardiennes allemandes et l'indifférence des kapos, la déshumanisation orchestrée par les nazis, les expériences du professeur Gebhardt sur les détenues, la peur permanente et la souffrance, les coups et les humiliations, les milliers de cadavres jetés pêle-mêle, abandonnés par terre comme de simples déchets sur un tas d'ordures.

« Il n'y a pas de manière douce de dire ces choses-là. »

Ses souvenirs nous entraînent vers d'autres camps, celui de Chelmno notamment, connu pour ses essais de la solution finale sur une partie du ghetto de Łódź.
Et puis, il y a le camp mouroir de Bergen-Belsen : après la marche de la mort, une nouvelle étape est franchie dans l'horreur, l'inhumanité et la barbarie nazie. Marie Vaislic capture des images affreuses de corps en décomposition entassés dans les allées du camp. Elle se souvient des conditions d'hygiène effroyables, de la surpopulation et de la promiscuité, de sa solitude extrême, de la faim et du froid, de la nudité et de la puanteur, de la vermine qui grouille, les maladies qui prolifèrent, de la survie et de la mort omniprésente, … jusqu'à la libération par les anglais et le retour dans sa famille.

*
« Je regardais le monde s'agiter autour de moi comme de derrière une vitre. »

Un retour qui a du être bien difficile. Sa très grande solitude m'a touchée. Je suis admirative du courage et de la force de cette adolescente d'à peine 15 ans.
Une formidable leçon de vie et de survie.
De cette épreuve traumatisante, elle y répondra par le silence. Comment expliquer, comment faire comprendre l'inimaginable, l'inconcevable à une personne qui n'a rien vécu de tout cela ? Entre désintérêt, suspicion et silence gêné des gens, Marie Vaislic choisit de se taire et se replie sur elle-même. Elle vit dans l'isolement des souvenirs gravés dans sa mémoire, ineffaçables.

« On ne se défait pas de ce qu'on a vécu, même quand on le voudrait. »

Et puis, bien plus tard, la parole se libère. Marie Vaislic va à la rencontre des plus jeunes et témoigne dans les établissements scolaires.
Aujourd'hui, elle raconte dans ce livre « pour que la Shoah ne deviennent pas une page d'histoire parmi d'autres, aussi lointaine que la guerre de cent ans… »

*
Ce court récit autobiographique, écrit à quatre mains avec Marion Cocquet, est admirable, son témoignage poignant. Cela a dû être une épreuve douloureuse de revenir sur l'horreur de la Shoah et de raconter sa déportation.
Ecrit avec simplicité, franchise et justesse, sans jamais tomber dans le sensationnel, le texte marque et fait de ce livre un véritable coup de poing. Un livre qui touche au coeur.
Des paroles précieuses.

***
Un grand Merci à Babelio et aux éditions Grasset pour ce livre reçu lors de la masse critique de Février 2024. Un grand merci également à Marie Vaislic pour son témoignage émouvant et si important.
Commenter  J’apprécie          6258



Ont apprécié cette critique (61)voir plus




{* *}